23 novembre 2019
Photo de Mathilde Coin
Dès le début de Numéro Une, nous avons choisi le Made in France et plus particulièrement Paris pour la fabrication de nos cabas. Ce n’est pas par facilité car cela coûte beaucoup plus cher que le Made in Europe, mais par conviction et engagement. Nous avons voulu créer un produit qui nous corresponde éthiquement, un produit dont nous pouvons être fières car nous savons exactement dans quelles conditions il est fabriqué.
Pour cette deuxième saison, nous avons choisi d’aller un peu plus loin et de travailler avec l’association Mode Estime, un chantier d’insertion socio-professionnelle qui propose une alternative écoresponsable et solidaire à la filière textile. Et c’est un bonheur de travailler avec cette équipe au savoir-faire unique et à l’énergie débordante. Nous y avons rencontré deux personnes inspirantes et solaires : Mathilde et Misbahou qui s’occupent ensemble de la gestion de l’atelier et entre autres de la fabrication de nos cabas. Mathilde a accepté de nous en dire plus sur elle et sur l’association.
Mathilde, peux-tu nous raconter comment tu as rejoint l’Association Mode Estime?
J’ai commencé par étudier le design textile à Duperré avec une prédilection pour les tissus écoresponsables et les savoir-faire textiles artisanaux . Je travaille depuis 4 ans chez Whole, une marque de linge de maison qui utilise des teintures naturelles, où je m’occupe justement de toute la partie teinture à la main. Whole fait fabriquer des produits, comme par exemple les coussins, par l’atelier Mode Estime. C’est donc comme ça que je les ai rencontrés. C’est drôle car j’ai commencé à travailler avec l’atelier comme vous en tant que cliente. Puis j’ai fait un service civique à la Textilerie qui est une association cofondée par Mode Estime et j’y ai rencontré Alice, la directrice de Mode Estime. Elle m’a dit que l’association avait aimé travailler avec moi et elle m’a proposé de reprendre une formation en contrat d’apprentissage. Mes études de Design Textile à Duperré avaient été éprouvantes, très compétitives et pas vraiment axées « écoresponsables », ce qui m’avait refroidie alors que j’avais toujours aimé étudier. Mais depuis ma rencontre avec Alice, je me suis remise à étudier, j’ai passé une licence pro l’année dernière et cette année je suis en Master. Cette formation est une vraie opportunité pour moi, je suis très reconnaissante à l’équipe de Mode Estime de m’avoir incitée à faire ça. L’année dernière, j’étais en gestion d’entreprise artisanale au Cnam et j’ai par exemple eu des cours de droit des contrats et d’analyse financière, cette année je suis en Marketing. Je n’aurais jamais cru faire ça un jour mais cette formation englobe tout ce qui touche à la gestion d’une entreprise et c’est très enrichissant. Et, en parallèle, je continue les teintures naturelles chez Whole une fois par semaine.
L’association existe depuis 2011. Quelles sont exactement les valeurs et les actions de Mode Estime?
L’association a été fondée en 2011 par Alice Merle. L’idée d’Alice était de montrer que la mode pouvait aider à retrouver l’estime de soi, par la pratique d’un savoir-faire ou juste par le fait de s’habiller. Alice animait des ateliers de couture pour des personnes souffrant de handicaps moteurs ou mentaux, elle leur apprenait à coudre mais travaillait aussi sur leur rapport à l’habillement, avec des réflexions sur la mode adaptée. Car ce qui n’est pas du tout évident pour une personne souffrant, par exemple de mobilité réduite, c’est de s’habiller.
En 2014, le chantier d’insertion a été créé dans le but de valoriser l’insertion socio professionnelle de personnes éloignées de l’emploi, qu’elles soient handicapées ou non. Chez Mode Estime, il y a des personnes qui n’ont jamais travaillé mais aussi des personnes qui ont perdu leur emploi, pour des raisons économiques ou des raisons de santé/personnelles… On trouve par exemple des gens qui étaient employés dans des ateliers français dans les années 80 et qui ont perdu leurs emplois suite à la délocalisation, car presque toutes les usines de confection ont fermé en France. Pendant leur parcours chez Mode Estime, les salariés travaillent à l’atelier. Ils sont encadrés par Misbahou, l’encadrant technique de l’atelier, qui les aide à développer leurs compétences. En parallèle, ils sont accompagnés par Marie qui les aide dans leurs démarches sociales, mais aussi à définir un projet professionnel, car le passage à Mode Estime doit être un tremplin vers l’emploi. Certains suivent des formations en français ou en bureautique sur leur temps de travail. En fonction des compétences et capacités de chacun, Mode Estime essaie de les aiguiller vers un emploi qui s’adapte le mieux à chaque personne. Cela n’est d’ailleurs pas forcément dans la couture : une ancienne salariée travaille à la boutique de la Textilerie dans le 10ème, d’autres font de la garde d’enfants ou s’occupent de personnes âgées. Il y a des gens qui ne trouvent pas forcément un emploi en sortant de l’association, mais toutes les personnes retrouvent confiance en elles grâce à leur passage chez Mode Estime. D’ailleurs, chaque départ est toujours déchirant car ce sont des contrats temporaires (1 an renouvelable une fois). On fait des rencontres extraordinaires.
« L’association a été fondée en 2011 par Alice Merle. L’idée d’Alice était de montrer que la mode pouvait aider à retrouver l’estime de soi, par la pratique d’un savoir-faire ou juste par le fait de s’habiller. »
Quelle est ta mission en tant que co-responsable de l’atelier de confection de l’association? Comment se passe ton travail au quotidien ?
Je m’occupe de la relation entre l’association et les clients : la prise de commandes pour l’atelier, les prix, les délais, la facturation, le contrôle qualité et aussi la page Instagram. Je gère la logistique au quotidien, la réception des tissus, les fiches techniques… Je suis très épaulée par mon collègue Misbahou qui s’occupe de la partie technique. Et on s’occupe ensemble de la gestion de l’équipe, ce qui est la partie que je préfère car on aide les personnes qui sont en insertion chez nous à retrouver confiance en elles et à s’épanouir. On a toujours un pied dans le monde économique et un pied dans le monde associatif. L’idée n’est pas la rentabilité économique, mais plutôt que les salariés en réinsertion se sentent bien.
Tu es très jeune et, quand je t’ai rencontrée, je me suis demandé s’il n’était pas trop difficile de diriger une équipe de 14 personnes ?
C’est vrai que les personnes avec lesquelles je travaille sont toutes plus âgées que moi. Mais nous sommes tous bienveillants les uns envers les autres, et puis, heureusement, je ne suis pas seule à encadrer l’équipe : nous sommes 4, Alice, Marie, Misbahou et moi. Et finalement, moi aussi je suis en insertion dans cet atelier : il y a des femmes et des hommes qui apprennent à coudre et moi j’apprends à manager une équipe et à gérer le quotidien d’un atelier de confection.
Comment l’association vous rémunère-t-elle ?
Les chantiers d’insertion “rendent un service” à l’état en aidant des personnes à s’insérer dans la vie active. L’état français et l’Europe subventionnent donc les chantiers d’insertion. Mais les subventions baissent d’année en année. Alice et Marie passent beaucoup de leur temps à répondre à des appels à projets pour obtenir des subventions supplémentaires mais il y en a de moins en moins. C’est pour ça que nous essayons de développer l’atelier afin de rapporter des fonds grâce au travail de production.
Nous travaillons sur une grande diversité de produits avec des créateurs qui font des vêtements pour adulte, pour enfants, mais aussi des accessoires, du linge de maison… Nous sommes aujourd’hui en plein changement car Misbahou vient d’être embauché pour être chef d’atelier et moi je suis en apprentissage. Nous essayons de dessiner ensemble l’avenir de l’atelier, d’être pérennes malgré la baisse des subventions.
J’ai lu que vous aimeriez développer une mode pour les personnes en situation de handicap. Es-tu en charge de ce projet ?
Ce projet est celui d’Alice. Nous y avons travaillé en collaboration avec quelques marques, mais nous avons tellement de demandes sur l’atelier de confection que nous ne pouvons pas tout faire. On essaie avant tout de faire vivre l’atelier. Mais c’est une idée qu’on garde en tête. Quand on sera plus serein sur l’association, je pense qu’on essaiera de développer ce projet, soit en aidant des clients qui travaillent sur cette question, soit en créant notre propre marque.
Dans nos priorités, nous essayons aussi de continuer à contribuer à une mode plus éthique et plus locale.
La plupart des gens qui sont chez nous adorent la couture et souhaitent en faire leur métier car c’est valorisant de faire quelque chose de ses mains. Mais le problème c’est qu’actuellement il n’y a presque pas de débouchés en France pour ces métiers. On remarque pourtant que l’on reçoit énormément de demandes de petits créateurs et autres qui sont intéressés par ce savoir-faire français et cette manière écoresponsable de produire. On aimerait pouvoir contribuer à la revalorisation des métiers du textile et aider à recréer des débouchés dans le domaine.
« Nous essayons aussi de continuer à contribuer à une mode plus éthique et plus locale. »
La première fois que je suis venue visiter l’atelier, j’ai remarqué beaucoup de sourires et de bienveillance. Peux-tu nous parler de l’ambiance et des liens que tu tisses grâce à cette association ?
L’équipe et l’énergie qu’il y a à l’atelier sont la raison pour laquelle je me lève tous les matins ! La première personne de Mode Estime que j’ai rencontré est Misbahou car il est venu faire un stage chez Whole et nous sommes devenus amis. Aujourd’hui, j’adore que nous soyons un binôme de l’atelier.
En ce qui concerne l’ambiance, l’année dernière par exemple, quand je suis arrivée à l’atelier le matin de mon anniversaire, l’équipe s’est mise à chanter “Joyeux anniversaire” dans toutes les langues parlées à l’atelier. Ça m’a vraiment émue et touchée.
A l’atelier, il y a principalement des femmes (seulement 3 hommes) et beaucoup de mamans célibataires qui s’entraident entres elles, ça se sent.
Les personnes sont parfois un peu fermées quand elles arrivent à l’atelier, mais on les voit s’ouvrir et rayonner un peu plus chaque jour, et c’est très beau.
Qui sont les personnalités qui t’inspirent ?
Il n’y a qu’une femme qui m’inspire : c’est ma mémé Odette. Elle est décédée il y a 15 jours et c’est drôle car, le jour de ses funérailles, je me suis dit : « Mémé, si on me demandait qu’elle femme m’inspire je répondrais : toi ! ». C’est une femme qui a vécu une enfance difficile et compliquée car sa maman était fille-mère, mais elle était toujours très positive et elle nous a toujours élevés dans ce sens-là. Elle m’a aussi donné le goût du travail manuel et du textile. Quand elle était jeune, elle a commencé à travailler à 14 ans, elle faisait des chapeaux comme apprentie chez Balenciaga, elle adorait ça mais elle devait prendre le train pour aller travailler là-bas et elle a dû arrêter car c’était trop cher. Puis elle a eu 4 enfants, un mari pas très commode et n’a malheureusement pas pu retravailler. Mais elle m’a toujours parlé de cette expérience et de la couture comme de quelque chose de merveilleux. Elle aimait les tissus et avait le goût des belles choses faites à la main. Je crois que si je suis là aujourd’hui c’est grâce à elle, pour poursuivre son rêve.
Quelle est ta couleur préférée?
Symboliquement, j’aime le bleu tendre qui évoque pour moi le calme, le repos et le rêve. Et puis c’est aussi la couleur dans laquelle je me suis mariée il y a un an, elle est donc associée à un moment de bonheur.
Retrouvez l’Atelier Mode Estime sur
Instagram et son site modeestime.fr
Par Estelle / Elles s'engagent, Rouge Piment