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Camille s’en bat le clito

« On est dans une révolution du plaisir et du désir. C’est pour ça qu’il y a une telle libération de la parole, parce qu’avant de pouvoir être épanouie, de pouvoir prendre son pied, il faut pouvoir communiquer et arrêter d’avoir honte. »

27 novembre 2019

Camille aumont carnel

© Violette Laval | @violettelavalphoto

Ancienne élève à Ferrandi, l’école d’excellence de cuisine, Camille Aumont a créé le compte Instagram Je m’en bats le clito en septembre 2018 avec l’objectif de libérer la parole des femmes. Suivi par une communauté de 436 000 abonnés, le compte parle de désir, de pratiques sexuelles, d’orgasme, de masturbation ou encore de règles. Camille combat ainsi les conceptions erronées de la sexualité féminine et les nombreux tabous qui en découlent. Ne se limitant pas à son compte Instagram, la jeune femme de 22 ans a publié un premier livre et fourmille de projets.

Elle intervient aussi régulièrement dans le cadre de talks et d’événements. Elle est ainsi à l’initiative de la Red Friday, un événement pour lequel elle s’est associée à l’hôtel Hoxton et à l’association Règles Élémentaires, pour prendre le contrepied du célèbre Black Friday (une tradition américaine poussant à une consommation excessive le lendemain de Thanksgiving). L’événement a pour but de venir en aide aux plus démunies en collectant des protections d’hygiène intime mais aussi de lever les tabous liés aux règles avec une conférence payante autour de la précarité menstruelle qui aura lieu ce jeudi 28 novembre à l’Orangerie du Hoxton et dont l’ensemble des bénéfices seront reversés à Règles Élémentaires. L’occasion de rencontrer Camille pour évoquer son parcours, ses projets, ce qui la fait vibrer mais aussi ce qui lui donne envie de s’en battre le clito. Langue de bois off et humour on.

Camille, tu as créé le compte Instagram Je m’en bats le clito pour aller à l’encontre des idées reçues sur la sexualité féminine. Qu’est-ce qui t’a motivée ?

J’ai passé 4 ans dans le milieu de la restauration, j’étudiais dans une école de cuisine et je travaillais avec des grands chefs étoilés. C’est un milieu machiste et raciste. Donc quand tu es une femme, que tu es noire, que tu es féministe, que tu as fait des études et que tu fais trois têtes de plus que tous tes chefs… C’est un peu compliqué. J’ai pris très cher pendant 4 ans et, alors que je commençais tout juste à digérer ce qui m’était arrivé, ma meilleure amie a été violée. Je me posais plein de question, j’observais toutes ces choses qui n’allaient pas, je voyais à quel point mes amis hommes incarnaient le patriarcat. Et je ne me retrouvais pas du tout dans la langue française, dans toutes ces expressions très phallocentrées ou dans celles où on insulte les femmes, le sexe des femmes, les lesbiennes, les gays. Je me suis dit que je n’allais pas attendre que la langue change mais que j’allais utiliser les expressions qui me plaisaient.

« Je dis souvent que je suis une petite souris qui vient se glisser dans nos culottes et dans nos têtes, parce qu’on a besoin d’avoir du vrai, qu’on ne peut pas se limiter au porno et aux cours d’éducation sexuelle non-existants. »

Ça faisait déjà deux ou trois semaines que je disais « moi, je m’en bats le clito » quand j’ai surpris mes amis en train de parler de plaisir féminin, de jouissance féminine, et ils n’y étaient vraiment pas… J’ai 22 ans et mes amis hommes ont plutôt 28 ans, ça fait donc un moment qu’ils couchent avec des femmes, et je me suis dit que ça n’était pas possible, qu’ils ne devaient pas être au courant. Et pour moi le plus grave, après le fait de ne pas être au courant, c’est de diffuser entre eux des fausses informations. Je me suis alors dit qu’il n’y avait aucune structure, aucun support, qui racontait comment ça se passe. Je ne veux pas faire de généralités mais j’ai cru comprendre que je parlais à un maximum. Je dis souvent que je suis une petite souris qui vient se glisser dans nos culottes et dans nos têtes, parce qu’on a besoin d’avoir du vrai, qu’on ne peut pas se limiter au porno et aux cours d’éducation sexuelle non-existants. J’ai donc décidé de raconter ma vie sexuelle en temps et en heure. A la base, je l’ai fait pour moi, parce que j’en avais besoin, et je me suis rendu compte qu’en racontant ma vie je racontais la vie de centaines de femmes.

Tu as réussi à créer une importante communauté depuis la création du compte. Comment expliques-tu cet engouement ?

Je ne sais pas pourquoi il y a eu autant d’abonnés en si peu de temps. Je pense que c’est le concept d’un buzz. Mais il y avait quand même plusieurs facteurs importants : le fait que je m’inscrive sans le vouloir dans le mouvement des comptes féministes post #metoo, dans une vague de libération de la parole, et le fait que je sois restée anonyme pendant presque six mois. Personne ne savait qui j’étais et tout le monde a eu l’impression d’être « Je m’en bats le clito », de retrouver la situation dans laquelle tu t’étais trouvée le matin, la conversation que tu avais eue avec ta meilleure amie la veille, le truc qui t’avait traversé l’esprit… Quand j’ai dévoilé mon identité, j’avais peur de la retombée raciste, mais les gens se sont quatre fois plus attachés à cette personne-là qu’à une idée. Dès que tu avatarises, il y a un truc encore plus fort qui se joue.

Est-ce que tu as l’impression que la libération de la parole qu’on observe depuis quelque temps autour du plaisir féminin nous mène vers une libération de la jouissance des femmes ?

Je crois que les plus gros boums se rattachent à un événement historique. Il y a eu la révolution sexuelle de 1968 où il était question d’émancipation, puis le droit à l’avortement avec Simone Veil. Et depuis il ne s’est pas passé grand-chose. Aujourd’hui on est dans une révolution sexuelle du plaisir. C’est pour ça que j’ai voulu m’affranchir de tous les symboles féministes comme les ovaires, l’utérus. On me demande souvent pourquoi j’ai choisi « je m’en bats le clito » et pas « je m’en bats les ovaires ». Et bien c’est parce que j’en ai marre des femmes génitrices, parce que le clitoris permet de parler d’autres choses, de désir, de plaisir, de consentement, de masturbation, d’orgasme et de porno. Je pense que c’est ça qui diffère de l’ancienne révolution sexuelle, on est moins sur la base de la base, on fait un féminisme populaire et de confort, on est dans une révolution du plaisir et du désir. C’est pour ça qu’il y a une telle libération de la parole, parce qu’avant de pouvoir être épanouie, de pouvoir prendre son pied, il faut pouvoir communiquer et arrêter d’avoir honte. On va sur quelque chose de beaucoup plus assumé, de revendiqué, avec une notion de fierté, de sororité et aussi de convergences entre toutes les causes.

« Avant de pouvoir être épanouie, de pouvoir prendre son pied, il faut pouvoir communiquer et arrêter d’avoir honte. »

Mais il y a encore beaucoup à faire. Une grosse partie de ma communauté a entre 13 et 17 ans, je reçois 50 messages par jour et ce que je lis est vraiment grave. Il y a une méconnaissance du corps et aussi une utilisation à outrance du corps sans le connaître, une utilisation à outrance de tout un tas d’outils comme le porno, les sex toys, parce que ça leur semble cool à un âge où nous on trouvait que les billes étaient cool. Je reçois des témoignages de viols, une jeune fille m’écrivait il y a peu : « je viens de voir ton dernier post, je vais te raconter ce qui m’est arrivé et tu vas me dire si on m’a violée ». La réponse est oui et elle ne le sait pas. Avant de vouloir faire appliquer le consentement, il faudrait donc déjà que tout le monde ait accès à sa définition. En fait ce que je voudrais c’est que les femmes soient bien, parce qu’un an après le lancement de ce compte, j’ai vraiment le sentiment que très peu de femmes prennent leur pied, que très peu de femmes prennent du plaisir, que très peu de femmes sont épanouies sexuellement. C’est ce qui me rend le plus triste, de constater qu’il y a plus de femmes qui ne kiffent pas au lit que de femmes qui kiffent.

C’est pour poursuivre cette dénonciation des tabous que tu as publié en septembre dernier le livre Je m’en bats le clito ?

Je voulais rentrer dans l’intimité des femmes, des hommes, des couples, et essayer de balancer un petit peu de sunshine. Je sais que ce livre est utilisé pour faire l’éducation sexuelle de certains enfants, par des pré-ados, mais aussi par des couples qui s’en servent pour communiquer en laissant par exemple le marque-page pile à la page sur laquelle il ou elle aimerait bien que l’autre tombe. Il y a aussi beaucoup de femmes de plus de 60 ans qui m’écrivent et me disent revivre. Elles me disent qu’elles sont passées à côté de leur vie sexuelle parce qu’elles ne savaient pas, parce qu’elles ne s’autorisaient pas, parce qu’elles pensaient qu’elles étaient au lit ce qu’elles étaient dans la vie. Et il y avait aussi l’histoire de la différence entre l’orgasme vaginal et l’orgasme clitoridien qu’on est en train de remettre en question. On fait tout un travail de désapprentissage pour réapprendre, on détruit tout. Les femmes de 40 ans remettent en question ce qu’elles sont en tant que femmes, ce qu’elles ont reçu comme éducation, la vision qu’elles ont de leur mère et l’éducation qu’elles sont en train de donner à leurs enfants. Tout ça n’est pas facile mais je pense qu’on va sur du bon.

Camille aumont carnel

Que faudrait-il faire dans l’éducation des filles pour rendre moins tabous le clitoris et le plaisir féminin ?

Ce qui m’a manqué à l’école, pendant toute mon éducation, ça a été la mise sur un pied d’égalité des deux sexes. Ça prend 5 minutes de dire que le pénis est un organe érectile qui se gorge de sang pendant l’excitation et mesure entre 13 et 16 centimètres, et que le clitoris est un organe érectile qui se gorge de sang lors de l’excitation et mesure entre 11 et 15 centimètres. Mine de rien, c’est mieux de présenter les choses comme ça que de parler de grand pénis qui bande et de petit vagin secret ou du clitoris comme d’un petit bouton. C’est comme quand Noémie Delattre dit « le masculin l’emporte sur le féminin ». Ce sont des mots mais psychologiquement ça veut tout dire.

Autre tabou persistant : celui qui entoure les règles. Un sujet qui te touche car tu organises cette semaine La Red Friday avec l’association Règles Élémentaires pour collecter des produits d’hygiène intime. Peux-tu me parler de l’événement ?

Le tabou des règles est un truc qui m’a toujours énervée car je pense que je ne comprendrai jamais pourquoi il y a un tabou. Si tu réfléchis deux minutes, c’est parce que ça sort du sexe de la femme et que le sexe de la femme est tabou, et aussi parce que le sang est associé à la douleur. J’ai participé en janvier dernier à « Respecter nos règles », la campagne avec CARE France, et je l’ai refait cette année avec Les Nanas d’Paname. On a fait un shooting pour lequel on était toutes habillées en blanc avec une tache de sang. J’ai adoré. Et ce qui m’a donné envie de continuer c’est de voir à quel point ça suscitait des réactions extrémistes, je ne me suis jamais autant fait pourrir que quand la photo sur laquelle j’étais en culotte avec mes vergetures, ma cellulite et une énorme tâche de sang a été diffusée.

Je reçois aussi beaucoup de messages par rapport aux règles et à tout ce qui peut en dériver : les ovaires polyclystiques, est-ce que je peux faire l’amour quand j’ai mes règles ?, les cups, les différents types de protections, la précarité menstruelle qui ne touche pas uniquement les personnes qui vivent à la rue mais aussi les étudiantes qui ont du mal à joindre les deux bouts. Alors plus je peux faire des gros events où on parle des règles, mieux je me porte. C’est ça ma vraie motivation. Et mon autre motivation c’est le Black Friday. C’est un événement que je déteste. J’ai donc voulu jouer la provoc, l’humour, avec un côté un peu sarcastique pour moi aussi surfer sur cette vague de surconsommation de masse mais pour faire du bien. La Red Friday, c’est une grosse campagne de sensibilisation parce qu’on commence par un talk sur la précarité menstruelle au Hoxton, suivi de 60 heures de collecte. Le but c’est de faire du flux, de faire de la quantité, de jouer la carte du black Friday, de faire du bruit et d’en parler. Le but c’est de ridiculiser un peu cet event qui est le moment avec Noël où les marques font leur chiffre d’affaires et j’ai envie d’y participer mais de façon un peu plus intelligente.

red Friday

Quels sont tes projets ?

Je vais écrire un deuxième livre pour cet été pour les 11-14 ans. Ce sera le premier cahier de vacances féministe, avec un memory des vulves, un mini dictionnaire avec des vraies définitions de tous les trucs dont on ne parle pas… Je suis aussi en train d’écrire mon one woman show, j’adore car c’est le truc qui me fait le plus sortir de ma zone de confort. J’ai aussi ma marque de vêtements qui s’appelle jmblc et on est en train d’imaginer d’autres produits parce que faire des t-shirts et des tote bags c’est cool mais j’ai aussi envie de créer les objets qui en tant que femme m’ont manqué pendant 22 ans, toujours avec ma patte de je m’en bats le clito. Je pense à des trucs qui peuvent servir pour des femmes et pour des hommes, une belle boîte à tampons avec une forme de paquet de cigarettes parce que tu demandes très facilement à une copine « t’as pas une clope s’il te plait » et plus difficilement « t’as pas un tampon s’il te plait ». Je pense aussi à des trucs pour lutter contre le harcèlement dans la rue ou à un jeu de société pour que les couples se sentent mieux et puissent parler de tout un tas de sujets. Je travaille avec un associé qui s’appelle Anton et c’est très cool. Je travaille aussi avec un homme pour le one woman show et c’est chouette parce qu’il peut me dire « écoute, là, en tant que mec, tu me perds ». Parce que je veux parler à tout le monde, c’est important pour moi.

Bosser avec des marques me plairait aussi, être leur ambassadrice. Je pensais à Rejeanne car j’aime beaucoup leur ligne éditoriale, mais aussi à Etam et à MAC cosmétiques. Tout ce qui est mannequinat me plaît et j’aimerais imposer qu’il n’y a pas de retouche, que je fais du 42-44, que c’est comme ça. J’ai aussi un autre compte Instagram qui s’appelle « Je dis non chef » par rapport à mon métier et j’aimerais bien construire un projet autour du féminisme et de la cuisine, des femmes cheffes et des femmes dans les métiers de la bouffe, comme les femmes vigneronnes, les barmaid, les charcutières.

Dans ton livre, tu évoques des grandes figures féministes de l’histoire. Qui sont celles qui t’inspirent le plus ?

C’est par période. Là en ce moment je suis fan de la répartie de Taubira, je trouve qu’elle envoie tellement du lourd cette femme. Et j’aime aussi beaucoup le discours de Toni Morrison par rapport au fait d’être une femme autrice, noire, aux étiquettes que tu acceptes ou pas de te faire coller dessus. J’aime beaucoup son discours parce que c’est ce que je suis en train de vivre en ce moment, en tant qu’instagrameuse noire mais qui ne se revendique pas afro-féministe et qui veut parler à toutes les femmes.

Quelle est la couleur dont tu ne pourrais pas te passer ?

Le jaune moutarde, parce que c’est ma couleur préférée.

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