18 septembre 2019
Photo d’Albane Linÿer – Crédit : Astrid di Crollalanza
Albane Linÿer a commencé à écrire dès qu’elle a su lire. Elle écrivait sur l’ordinateur de sa mère, « une espèce de Windows familial des années 2000 », confie la jeune femme qui, à seulement 25 ans, vient de publier son premier roman, J’ai des idées pour détruire ton égo, chez Nil Éditions. Haletant, le livre se lit en quelques heures, sans pause, peut-être juste le temps d’une cigarette si on est fumeur et que les excès d’alcool et de tabac des héroïnes nous donnent envie de nous allumer une clope. Parce que des hommes, il n’y en a pas.
Léonie, Angela, Eulalie, Lore… Le roman d’Albane Linÿer est peuplé de femmes.
Léonie, Angela, Eulalie, Lore… Le roman d’Albane est peuplé de femmes. Quand on lui demande pourquoi elle a fait ce choix, Albane explique qu’il ne s’agit pas d’un choix mais de quelque chose qui s’est imposé à elle. « C’est juste que j’avais une idée en tête, une histoire, et que dans cette histoire il n’y avait pas d’hommes. Ça n’était pas une volonté d’exclure des hommes ou de n’écrire que sur des femmes. C’est juste que quand je déroulais l’histoire, mes héroïnes ne rencontraient que très peu d’hommes sur leur chemin. »
Ce qui s’exprime, c’est le désir
Chaque chapitre porte le nom de l’une de ces femmes et déroule le récit de leurs errances avec un rythme qui révèle les talents de scénariste d’Albane qui, après une Licence en Cinéma, est partie faire un Master en Écriture à Londres. Une façon de jouer avec les personnages qui sert aussi le thème de son livre : le désir et ses limites. Il est en effet beaucoup question de sexe dans J’ai des idées pour détruire ton égo mais l’érotisme en est absent. Ce qui s’exprime c’est le désir. Le désir dans ce qu’il a de tenace, dans le manque qu’il peut générer, dans la violence que peuvent représenter les images de l’autre qui reviennent en mémoire, se répètent et finissent par submerger et par susciter une irrépressible pulsion de vengeance. L’objectif d’Albane, c’était de parler du désir à travers la frustration, en utilisant différents points de vue. « Tout le monde suit son objectif, précise-t-elle, mais cela ne concorde pas du tout avec les désirs des autres et personne ne s’écoute. Ce que je voulais traiter, c’est cette façon de ne pas écouter les autres, de dire « moi je veux ça, moi je veux ça de toi », de vouloir une relation qui n’est pas une relation puisqu’elle n’existe que dans la tête des personnes, et n’a aucun lien avec la réalité concrète des choses et avec ce que l’autre personne désire. »
Les souvenirs de sexe et les scènes de masturbation qui habitent le roman servent ce désir, un désir qui obsède mais dans lequel chaque personnage se débat désespérément seul. Et, en dépit de l’égoïsme et du caractère manipulateur des personnages, Albane réussit à nous faire toucher du doigt la violence de leur frustration, à nous faire ressentir l’abysse de leur solitude et à nous émouvoir. Sans doute parce que, pour elle, « il n’est pas du tout question de morale, il n’est pas question de juger ces femmes qui sont très humaines et font des erreurs que l’on peut comprendre. »
Albane aime « toutes les femmes qui n’ont pas peur de parler, d’être leur propre voix, de dire des choses que tu n’oserais même pas dire à tes amis. »
Il y a dans le ton cynique, la création de personnages qui galèrent plus ou moins socialement, l’alcool, le sexe et la violence en arrière-plan, le féminisme de la pensée aussi, des points communs évidents avec les textes de Virginies Despentes. Cette filiation réjouit Albane qui s’en dit « flattée » et « honorée », mais rappelle que l’écrivaine n’est pas la seule à avoir écrit sur la frustration et la sexualité, citant d’autres femmes de sa bibliothèque intime : Ann Scott, Michelle Tea, Maggie Nelson… Plus largement, Albane aime « toutes les femmes qui n’ont pas peur de parler, d’être leur propre voix, de dire des choses que tu n’oserais même pas dire à tes amis. Parfois ça passe par des zines, des livres, de la musique. Et ça, c’est génial. Ça crée directement une connexion et une envie de se surpasser, de s’exprimer soi-même, qui est hyper forte, que je retrouve moins quand je lis des auteurs masculins parce qu’on n’est pas du tout dans le même rapport de force, le même rapport au public, le même entourage. N’importe quelle femme forte qui s’exprime à travers la danse, le chant ou l’écriture, c’est toujours très inspirant pour toutes les femmes. »
Quand nous évoquons les femmes qui l’inspirent, Albane, qui porte un joli t-shirt brodé par ses soins « La Laisse x Françoise Sagan », insiste également sur l’importance de Sagan dans la construction de son rapport à l’écriture. « Quand j’ai commencé à lire Sagan, ça a été une révélation. Je me suis dit que j’allais pouvoir écrire sur d’autres choses que sur des chiens… Parce que quand j’étais petite les livres que je lisais parlaient d’animaux et j’écrivais donc sur les chiens, les poneys, … Alors forcément la découverte de Sagan m’a ouvert d’autres perspectives ». On rit, forcément, parce qu’Albane ne se prend pas du tout au sérieux, pratique l’autodérision, même si on sent aussi beaucoup de sensibilité et autant de force que de fragilité dans sa façon de parler, de regarder, de tenir sa tasse de café, de sourire et de parler de ses projets.
Moscou, Londres, Lisbonne… et des projets
Ayant créé la première bibliothèque LGBTQIA+ itinérante de France, la Bibliothéqueer, elle a envie d’aller un peu partout en France pour pouvoir découvrir d’autres communautés queer et d’autres événements et pense aussi à développer un podcast autour du projet – elle qui a découvert l’univers du podcast en participant durant les mois qui ont précédé la sortie de J’ai des idées pour détruire ton égo au Podcast « Primo ». Une expérience qui lui a permis de rencontrer d’autres autrices et de se sentir entourée pendant qu’elle travaillait son manuscrit. « Ça me boostait, ça me donnait confiance en l’écriture, je me sentais moins seule pendant que j’écrivais toute seule à Madrid ». Car Albane aime pouvoir partir vivre et écrire là où elle l’entend. Elle a vécu des années à Moscou, un peu à Lisbonne, un peu à Londres, et c’est aujourd’hui quelques mois en Andalousie qui la feraient rêver pour terminer l’écriture du tome 2 de J’ai des idées pour détruire ton égo.
Par Laura / Elles racontent, Orange Pulsion