8 octobre 2019
Photo : Laurence Vély
Laurence Vély est parisienne. Elle a 38 ans, 2 enfants, plein de projets dans la tête et de l’énergie à revendre. Après avoir fait carrière dans la presse féminine, elle a eu l’idée assez géniale de créer Les Déviations, un nouveau média qui raconte les histoires de personnes qui ont décidé de changer le cours de leur vie.Tous ces témoignages sont recueillis sous forme écrite, en vidéo ou en podcast. Il s’en dégage une énergie positive assez contagieuse qui pousse à se poser des questions, à s’écouter, à donner du sens à notre vie.
J’ai découvert Les Déviations cet été. En une semaine, j’avais écouté une dizaine de témoignages. Stanislas, Sophie, Claudine, Ariane… des histoires vraies, poignantes et inspirantes auxquelles on devient vite accro.
En 1 an et demi, Laurence a réussi le pari de créer un nouveau média et de fédérer une communauté de 90 000 personnes autour des DÉVIATIONS et ce n’est certainement qu’un début !
RENCONTRE AVEC LA CRÉATRICE D’UN MÉDIA
DANS L’AIR DU TEMPS
Bonjour Laurence, tu as fait carrière dans la presse féminine. Tu as également travaillé à la radio mais aussi sur des projets documentaires, tu as écrit des scénarios de pub, tu développes des stratégies digitales pour des marques… J’ai l’impression que ta vie est bien remplie et que tu aimes travailler sur différents projets. Quel est ton métier aujourd’hui ?
Je ne sais pas vraiment. A la base, ce que j’aime c’est les mots, les petites phrases bien senties, les punchlines. C’est ça qui m’a emmenée au journalisme. Mais je crois que je ne me suis jamais vraiment « sentie journaliste » même quand je travaillais dans des rédactions comme Vanity Fair. Quant à mon métier actuel, je dirais que c’est d’abord du casting : trouver des personnages, flairer les bonnes histoires. Et ensuite de la créativité pour les raconter – quel que soit le format, podcast, texte ou vidéo – et les mettre en valeur. Et puis maintenant je dois bien sûr y intégrer une dimension business pour développer les projets.
Qu’est-ce que tu rêvais de faire quand tu étais plus jeune ?
J’ai voulu être ethnologue puis dessinatrice mais je me suis fait un peu rattraper par des parents assez terre-à-terre. Ils pensaient que ce n’était pas pour moi, que je ne trouverais pas de travail et que ce serait bien mieux de faire une école de commerce ou d’ingénieur. Évidemment, je ne voulais pas du tout faire ça ! Au final, j’ai suivi des études de communication – c’était notre compromis – et je suis venue ensuite au journalisme. Mais je dois avouer que la notion de travail, la cantine d’entreprise, les collègues, a longtemps été une source d’effroi pour moi.
Jeune, j’ai aussi beaucoup travaillé sur les marchés. J’ai commencé à 16 ans et pendant 8 ans, tous les étés sur l’Ile de Ré, je montais mon propre stand et je vendais des produits qui venaient du Sentier à Paris ou de Bangkok. J’ai longtemps cru que j’allais m’engager dans cette vie un peu hors cadre. A l’époque, je me disais que les camelots avaient tout compris. Ils travaillaient 3 mois dans l’année et le reste du temps ils partaient voyager. Ça me faisait rêver mais j’ai aussi vu les limites de cette vie… Il faut avoir les épaules pour être marginal. Que ce soit rentier ou camelot d’ailleurs.
Est-ce que tu as déjà pensé à changer de vie comme les personnes que tu interviewes dans Les Déviations ?
Il y a deux ou trois ans, j’étais un peu dans ce cas-là. Je passais de rédaction en rédaction et ça ne m’amusait plus. Je gagnais bien ma vie mais les gens avec qui je bossais étaient malheureux, l’enthousiasme n’était plus de la partie. J’assistais à la fin d’un monde et je me plaignais beaucoup. Je me suis mise à me poser pas mal de questions et à me demander ce que je voulais faire ensuite.
J’ai démissionné de mon poste de rédactrice en chef chez Marie France pour lancer peu de temps après Les Déviations, des histoires de personnes qui ont changé le cours de leur vie. Ce projet m’a tout de suite apporté une énergie dingue. A cette époque, j’étais mère célibataire. J’ai lancé ce média et dans la foulée j’ai rencontré mon mec, je suis tombée enceinte et on a acheté une maison en moins d’un an. Et Les Déviations a pris !
Comment as-tu eu l’idée de créer Les Déviations ?
Je cherchais une autre façon de raconter des histoires. J’ai repensé à l’ouvrage de Paul Auster Je Pensais Que Mon Père Était Dieu Et Autres Récits De La Réalité Américaine qui est un recueil de témoignages, une sorte de radiographie de l’époque. Pendant plus d’un an, Paul Auster a recueilli des récits de vie d’auditeurs dans le cadre d’une émission de radio sur laquelle il a travaillé. Ensuite, il a regroupé ses favoris et les a publiés dans un livre.
C’est marrant parce que ce livre ne m’a pas vraiment plu mais il me trottait dans la tête depuis 20 ans. C’est culotté d’avoir fait ça : ça ne raconte rien de précis, c’est anecdotique mais ça marque, c’est du concentré d’humain.
« Ce qui est intéressant, c’est d’abord la quête de sens et ensuite le refus de subir. Cette énergie que l’on a tous et qui fait qu’il y a toujours un moment où l’on peut s’extirper de la mélasse dans laquelle on s’est mis – où la vie nous a mis »
Des histoires de gens qui « changent de vie », c’est pareil, ça ne veut rien dire ou ça veut tout dire. Certains vont « changer de vie » en modifiant un détail, d’autres vont changer un tas de choses et il ne se passera rien de notable pour autant.
Mais ce qui est intéressant là-dedans, c’est d’abord la quête de sens et ensuite le refus de subir. Cette énergie que l’on a tous et qui fait qu’il y a toujours un moment où l’on peut s’extirper de la mélasse dans laquelle on s’est mis – où la vie nous a mis.
D’un point de vue plus scénaristique, on est vraiment dans le cœur de l’histoire, de la bonne histoire. Pas d’histoire sans changement, pas de changement plus profond que celui qui transforme ton existence.
Et en commençant à recueillir les témoignages, je me suis rendu compte que des histoires de gens qui avaient changé le cours de leur vie, il y en avait partout… et qu’elles étaient assez incroyables et énergisantes.
Comment se passe l’enregistrement d’un témoignage ?
Pour les témoignages écrits, je collabore avec quelques pigistes, principalement des amis. Pour les vidéos ou podcasts, je travaille avec Sydney, une réalisatrice qui est avec moi depuis le début.
Cela prend beaucoup de temps de recueillir les témoignages car la plupart des gens n’ont jamais raconté leurs histoires sous ce prisme, donc même s’il s’agit d’une petite interview que je publie d’abord sur Instagram, je peux y passer 2, 3 heures. C’est très long. La personne a envie de te parler mais dans sa tête ce n’est pas forcément clair. Il me faut donc réécrire son histoire en trouvant du liant. C’est un travail analytique.
Quel est le témoignage qui t’a le plus touchée ?
Il y en a plusieurs. Mon premier podcast c’était l’histoire de Claudine et l’idée des Déviations est d’ailleurs un peu liée à elle. Pendant 10 ans, je suis passée tous les matins devant la Maison de la Presse dans laquelle Claudine travaillait. C’était une femme sans âge, qui ne faisait pas très attention à elle, on sentait qu’elle s’ennuyait, qu’elle avait lâché l’affaire. En rentrant de vacances, je vois que Claudine a perdu une vingtaine de kilos. Elle a une petite casquette en cuir, elle s’est teint les cheveux en rouge. Elle est hyper pimpante et on voit dans ses yeux un nouvel éclat. Ce n’est plus du tout la même femme. Alors, forcément je me demande ce qui s’est passé.
Peu de temps après, la Maison de la Presse ferme et une boutique de lingerie érotique ouvre à la place. A l’intérieur, Claudine est toujours là mais c’est une version d’elle encore plus heureuse et rayonnante. Je me suis dit que c’était avec elle que je devais commencer Les Déviations et le résultat est fou !
Le témoignage de Sophie, la bourgeoise « chabrolienne » de Reims qui sur le papier avait la belle maison, les amis notables, mais décide de tout quitter pour recommencer sa vie à Paris, m’a aussi beaucoup touchée. J’ai failli pleurer pendant l’interview, son histoire est dingue.
Sophie – Podcast Les Déviations
Selon toi, est-ce qu’il y a un profil type de la personne qui décide de switcher ?
Je ne pense pas qu’il y ait un profil type. Certains attendent d’avoir coché toutes les cases de “ce qu’il fallait faire” pour ensuite tout revoir et changer de vie.
Chez les jeunes, il y a tous ceux qui ont fait de hautes études, des écoles de commerce, du droit, sans savoir vraiment quel métier ils voulaient faire. Ils entament généralement des beaux parcours, et rentrent dans des entreprises prestigieuses ou des agences de pub renommées pour ensuite tout lâcher pour des voies qui font plus sens pour eux.
« C’est pareil pour les nouveaux métiers du digital qui sont absurdes et dans lesquels les employés ne comprennent pas leur rôle. Et quand ils le saisissent, ils ne peuvent que s’en demander l’utilité, à l’échelle du monde ou de leurs valeurs. Qui a rêvé petit de travailler un jour pour une boîte de marketing digital ? »
C’est pareil pour les nouveaux métiers du digital qui sont absurdes et dans lesquels les employés ne comprennent pas leur rôle. Et quand ils le saisissent, ils ne peuvent que s’en demander l’utilité, à l’échelle du monde ou de leurs valeurs. Qui a rêvé petit de travailler un jour pour une boîte de marketing digital ?
Mais Les Déviations, ce ne sont pas que des reconversions professionnelles. Dans les témoignages que nous avons recueillis, nous avons parlé d’homosexualité, d’addictions, de voyages, de liberté, d’ennui, d’envies, de famille, mais aussi de maternité et de toutes sortes d’histoires… “Changer de vie” peut prendre différentes formes.
Clémentine – Podcast Les Déviations
Lorsqu’on écoute LES DÉVIATIONS, on a l’impression que la société est en train de se libérer de certaines règles et que les gens ont de plus en plus le courage de faire ce qui leur tient à cœur en se souciant un peu moins du regard des autres. Est-ce que tu as l’impression qu’il y a une vraie dynamique en France sur ce sujet ?
Cela n’a jamais été autant d’actualité dans le monde occidental. Avec l’avènement du web, le développement de tous ces métiers dénués de sens, l’émergence de valeurs plus spirituelles, la crise écologique… Toute cette prise de conscience globale fait qu’on se pose pas mal de questions.
Il existe un vrai mouvement de fond avec des gens qui font bouger les choses mais tout le monde n’en est pas capable et il ne faut pas non plus culpabiliser ceux qui sont bien dans leur vie. Parfois on peut d’ailleurs changer le cours de sa vie sans pour autant tout chambouler. On peut lever le pied, faire différemment. Arrêter d’être collé à son téléphone, prendre son vélo plutôt que le métro, arrêter de regarder des séries moyennes et se remettre à lire… toutes ces petites actions qu’on décide de mettre en place peuvent amener à de grandes choses.
J’ai fait un podcast avec Lili Barbery Coulon la semaine dernière, elle m’a raconté que nous rentrions dans l’Ère du Verseau qui fait suite à l’Ère du Poisson. Cette nouvelle Ère serait synonyme de changement et de prise de conscience spirituelle. Même s’il y a toujours une bizarrerie à évoquer l’astrologie, j’aime beaucoup cette idée d’Ère du Verseau. De toute façon, que ce soit via l’astrologie, la philosophie ou plus basiquement les livres de développement personnel (que je ne recommande pas forcément, je suis assez contre), l’être humain a besoin de spiritualité. C’est un juste retour des choses, on l’a certainement un peu mise de côté ces dernières années. Alors finalement, pourquoi pas l’astrologie ? Au moins c’est sexy et on n’a pas à se taper 30 minutes de respiration ou de mantras tous les matins.
Lili Barbery-Coulon – Podcast Les Déviations
Est-ce qu’il y a des livres que tu recommanderais aux personnes qui souhaitent changer de vie ?
Je recommanderais plutôt des ouvrages sur la création, notamment pour les femmes celui de Nancy Huston qui s’appelle Journal de la création.
Mais d’une manière globale lorsque tu interviewes des neuropsychiatres ou des neuroscientifiques, ils te disent tous la même chose. Il faut mettre ton cerveau en condition de s’adapter, de changer, d’innover. Et pour cela, il faut l’alimenter sans cesse par les arts, la littérature, la musique, la culture…
Les Déviations est un vrai succès. Après seulement un an et demi, tu as réussi à créer une communauté de près de 100 000 personnes autour de ton projet. Quel est ton rêve pour la suite ?
Juste après avoir lancé Les Déviations, je suis tombée enceinte. Aujourd’hui, j’ai une petite fille de 6 mois et un fils de 10 ans. La dernière année a été plutôt intense et là je suis en train de ré-émerger et de structurer tout le travail qui a été effectué.
Dans le futur, nous allons donner plus la parole à des spécialistes du changement comme des philosophes ou des neuroscientifiques afin d’accompagner notre communauté dans ses réflexions.
Ce que j’aimerais faire aussi, ce sont des conférences autour du changement. Mais attention, surtout pas avec des recettes toutes faites. Je me méfie des charlatans du développement personnel, c’est l’écueil que je veux absolument éviter. Quand on a des doutes, je conseille toujours de lire plutôt des biographies de gens inspirants. Quand elles sont bien faites, on voit que n’importe quelle vie a son lot d’échecs, de crises existentielles, de failles. Et toutes les réponses du monde sont dans les livres des grands écrivains, il ne faut jamais l’oublier.
Quels sont tes prochains projets ?
J’ai envie de me lancer dans la production de podcasts et vidéos, mais plus punks, plus sauvages, plus humoristiques. L’époque est tellement moralisatrice, sous contrôle, que j’ai envie d’un peu plus de bordel. Et aussi des histoires de femmes, j’adore les femmes… Surtout, je veux bosser avec des amis. Je rêve d’un grand bureau en bordel, où passent sur des projets les gens que j’aime et que je trouve talentueux. Bosser en s’amusant, il n’y a rien de mieux au monde.
Je pense aussi à lancer un magazine. Le mag Society a montré que si le contenu est bon, si la curiosité subsiste, si l’enthousiasme est là, ça peut encore marcher.
Et pourquoi pas écrire une pièce de théâtre.
Qui sont les femmes qui t’inspirent ?
Je suis une obsessionnelle, donc je passe d’une obsession à l’autre en permanence. La dernière, c’est Mona Heftre qui avait repris les chansons de Serge Rezzvani, une autre obsession. Avant il y avait Lionel Shriver, une autrice qui a pris le nom d’un d’homme volontairement. C’est elle qui a écrit We need to talk about Kevin.
Et encore avant, c’était l’actrice Kathryn Hahn que j’ai découverte dans la génialissime série I love Dick – elle a ce truc maladroit et sexy à la fois que j’adore.
Je consulte régulièrement le blog de Mona Chollet qui est sobre, exigeant, intelligent. Et j’insiste sur la sobriété, car c’est quelque chose, qui j’ai l’impression tend à disparaître. Une forme de modestie, de retrait, qui se perd et nous éviterait, dès qu’on a lu un livre ou fait quelque chose d’un peu moins con que d’habitude de le poster sur Instagram. C’est hyper gênant je trouve… Comme tous ces gens qui ont posté le dernier Houellebecq pour bien montrer qu’ils en étaient. Malaise.
Dans les icônes qui m’accompagnent depuis longtemps, il y Virginie Despentes. Quand j’avais 18 ans et que je suis arrivée à Paris, les personnages de Baise moi et des Jolies choses m’ont accompagnée, aidée à comprendre des choses qui me travaillaient. En revanche, j’ai moins aimé Vernon Subutex.
Mais avant tout, la chanteuse Barbara est mon prophète. Elle est à mes côtés, presque tous les jours, depuis plus de vingt ans. Je n’entends jamais la même chose dans ses chansons, elle me guide.
Quelle est la couleur dont tu ne pourrais pas te passer ?
Le noir… comme Barbara.
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