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Fiona Schmidt : de l’humour, de l’intelligence et des mots

Des rapports de séduction après #MeToo au concept de charge maternelle, la journaliste au ton inimitable ouvre de nouvelles perspectives féministes.

25 juillet 2019

Fiona schmidt

Crédit : Fiona Schmidt

Fiona Schmidt est une journaliste au ton inimitable. Ses articles, ses chroniques, son blog et son compte Instagram abordent des thématiques féministes avec humour, finesse et perspicacité. Depuis 2017, Fiona est aussi autrice. Et, comme elle ne fait jamais les choses à moitié, elle en est déjà à l’écriture de son troisième livre qui sortira en novembre. Recluse dans le Perche depuis plusieurs semaines pour l’achever, Fiona a néanmoins accepté avec enthousiasme de sortir de sa bulle de travail pour nous parler de son parcours, des rapports de séduction après #MeToo auxquels elle a consacré son deuxième livre et du concept de charge maternelle qu’elle explore dans son troisième livre.
On ne pouvait pas terminer notre mois de juillet #Mint sans échanger avec la plus piquante des journalistes féministes. Et on a ri, on a appris des choses, on a été touchées par sa sensibilité et séduites par les nouvelles voies qu’elle ouvre aux femmes.

Fiona, tu es journaliste, éditorialiste, chroniqueuse, bloggeuse, autrice… Peux-tu nous parler de ton parcours ?

J’ai toujours voulu être journaliste. J’ai donc fait une école de journalisme et aussi un cursus de cinéma car je voulais être critique de cinéma. Et, un peu par hasard, mais aussi parce que j’ai toujours été une grande consommatrice de presse féminine, je me suis retrouvée en stage à Cosmo au début des années 2000. Et ce stage s’est transformé, par un coup de bol incroyable, en CDI. J’ai donc commencé ma carrière à 21 ans en finissant mes études. Je suis restée six ans à Cosmo et j’ai été débauchée par le groupe Lagardère pour créer un hebdomadaire féminin, Be – enfin je ne l’ai pas créé toute seule, je ne suis ni Dieu, ni Michelle Obama, mais j’ai participé à sa création et à son lancement, puis j’en ai été la rédactrice en chef, jusqu’à réaliser que je n’étais pas faite pour être boss, et je pense que je ne suis pas la seule à m’en être rendu compte malheureusement… Je suis restée au sein du magazine en tant qu’éditorialiste et je suis partie quand le titre a été vendu. A ce moment-là, j’avais 30 ans, et j’ai commencé ma carrière à l’envers puisque je suis alors devenue pigiste. Les gens font ça dans l’autre sens en général. Le hasard a fait que j’ai pris ça à l’envers. Depuis, je pige pour plusieurs titres de la presse écrite (Cosmo toujours, Cheek Magazine, le Huffington Post et Slate) et j’écris des livres.

Justement, qu’est-ce qui t’a amenée à traiter de sujets féministes ?

Les problématiques féministes m’ont toujours intéressée, mais j’admets volontiers avoir été longtemps de celles et ceux pensant que la plus grosse partie du boulot était faite (loooool). Je m’y suis de plus en plus intéressée en lisant les chroniques de Titiou Lecoq et de Nadia Daam dans Slate, et grâce à mes copines de Cheek Magazine, Myriam, Faustine et Julia, trois super journalistes avec lesquelles j’ai travaillé chez Be et qui en sont parties pour créer le premier pure player féministe de la génération Y à l’époque où le féminisme était encore un gros mot. Et puis le féminisme, c’est un peu comme une version bio des M&M’s : quand tu commences, tu peux plus t’arrêter – mais contrairement aux vrais M&M’s, ça fait du bien à la santé.

« Le féminisme, c’est un peu comme une version bio des M&M’s : quand tu commences, tu peux plus t’arrêter – mais contrairement aux vrais M&M’s, ça fait du bien à la santé. »

J’ai commencé à écouter des podcasts, à lire, à réfléchir toute seule comme une grande… Je crois que ma prise de conscience politique a également coïncidé avec le moment où j’ai commencé à faire la paix avec moi-même. Je me suis longtemps sentie inadéquate, inadaptée, pas à ma place dans ma propre peau, et je pense qu’on a du mal à se préoccuper de l’extérieur quand l’intérieur de soi est en bordel permanent. Si ma prise de conscience féministe est évidemment due à des lectures et à des rencontres, elle est donc peut-être d’abord liée avec une rencontre avec moi-même – à une reconciliada personnelle, disons. Et puis j’ai vraiment eu une révélation en lisant Bad feminist de Roxane Gay, une militante féministe américaine bisexuelle, obèse et souvent très drôle, dans lequel elle assume ouvertement ses propres contradictions et affirme ne surtout pas vouloir être un modèle. Elle dit qu’il n’y a pas de bonne façon de militer, que le féminisme n’est pas un label rouge, qu’elle fait du mieux qu’elle peut. Ce livre m’a vraiment libérée de ce complexe que j’avais vis-à-vis du féminisme, dont je pensais que c’était un sujet réservé aux expert.e.s qui avaient lu l’intégrale de Simone de Beauvoir. J’ai (un peu) oublié mon complexe d’imposture et j’ai commencé à partager mes idées sur Instagram.

Dans L’Amour après #MeToo, tu t’adresses aux hommes dans un « traité de séduction à l’usage de tous ceux qui pensent qu’on ne peut plus rien dire », tu défais les codes de la séduction du masculin et du féminin. Quelle a été la genèse de ce texte ?

J’ai écrit ce livre car je me suis demandé pourquoi des millions de femmes avaient attendu 2017 pour mettre en cause le comportement de millions d’hommes à leur égard. Pourquoi ont-elles estimé jusqu’à cette date que des comportements problématiques, voire très problématiques, étaient normaux ou du moins acceptables ? Qu’est-ce qui dans le cerveau de millions de femmes fait que l’on supporte ça collectivement et que personne n’en parle ? Je me suis vraiment demandé comment on en était arrivées à ça. J’ai commencé à écrire le livre en décembre 2017, juste après la vague #MeToo qui avait eu lieu en octobre et avait été immédiatement suivie par un backlash, un retour de bâton terrible. Certains médias parlaient de fin de la liberté d’expression, de la liberté de draguer, certains mecs se sont sentis oppressés… On était en train de culpabiliser les femmes qui trouvaient enfin le courage de partager leur histoire dans l’espace public. Il était question de viols et d’agressions sexuelles et les médias criaient à la censure et à la pudibonderie : c’était vraiment surréaliste.

Fiona schmidt

Traité de séduction à l’usage des hommes qui ne savent plus comment parler aux femmes

Je n’avais pas été amenée à m’interroger à ce sujet à titre personnel avant car, comme je le raconte dans le livre, je n’ai jamais eu à souffrir de comportements déplacés. J’ai donc pris de plein fouet cette masse de témoignages et aussi le fait que des amies très proches ont commencé à me parler. Des amies que je connaissais depuis plus de dix ans m’ont raconté les agressions qu’elles avaient subies. Et je n’ai pas compris pourquoi elles ne m’en avaient pas parlé plus tôt. Je me suis dit : c’est quoi cette omerta de merde ? Il faut vraiment que j’écrive un truc là-dessus, que je décortique d’où ça vient, qu’est-ce qui bugue dans la construction du masculin et du féminin. J’ai cherché à comprendre pourquoi on considère encore que le corps féminin est à la disposition de l’homme ou, plus exactement, que l’avis des femmes compte moins que le désir forcément impérieux des hommes. C’est absurde et extrêmement réducteur. En tant qu’homme, je serais vexé qu’on dise de mes désirs qu’ils sont impulsifs et bestiaux.

Quels nouveaux codes proposes-tu ?

J’ai envie de crier au secours quand on me demande comment faire la différence entre la drague et le forcing. C’est tout simple : la drague c’est tenter de séduire quelqu’un en se montrant agréable et sous son meilleur jour pour partager un bon moment, et le forcing c’est imposer à quelqu’un son désir. La différence est basique. L’une est un partage, l’autre un rapport de domination. Ce qui a été hallucinant c’est qu’on découvre la notion de consentement en 2017, bien après avoir inventé Google ou la tondeuse sans fil intelligente (j’en ai une, ça me fascine). Et, moi qui ai grandi dans les années 1990 et ai eu mes premières expériences sexuelles à la fin des années 1990, j’ai aussi réalisé qu’il m’était arrivé de coucher avec des mecs sans en avoir vraiment envie. Pourquoi est-ce arrivé ? Parce que j’avais envie d’avoir la paix, de leur faire plaisir, parce que je ne voulais pas m’embrouiller, je ne sais pas trop, en fait… Ils ne m’ont pas agressée, je n’avais pas spécialement envie de faire l’amour mais j’estimais que c’était comme ça que ça se passait parfois. C’est assez dramatique aussi quand on y pense. Et aujourd’hui le désir féminin est encore un problème. On a découvert le consentement, mais ça n’est pas suffisant de consentir au désir de l’homme : l’idée c’est que le désir soit réciproque et admis comme tel. Et on en est encore loin. J’ai donc écrit un livre à destination des mecs mais il y a tout un chapitre à destination des femmes parce que ça ne dépend pas que des mecs. L’enjeu féministe et féminin c’est d’investir son propre corps et son propre plaisir, c’est-à-dire ne pas abandonner le sexe aux hommes.

« J’ai envie de crier au secours quand on me demande comment faire la différence entre la drague et le forcing. C’est tout simple : la drague c’est tenter de séduire quelqu’un en se montrant agréable et sous son meilleur jour pour partager un bon moment, et le forcing c’est imposer à quelqu’un son désir. La différence est basique. » 

Et en ce moment tu travailles à l’écriture d’un troisième livre sur la charge maternelle, après avoir créé en avril dernier le compte Instagram « Bordel de mères » qui a pour objectif de libérer la parole sur le sujet en instaurant un dialogue en ligne. Comment définis-tu la charge maternelle ?

C’est la somme des pressions et préjugés au sujet de la maternité que toutes les femmes intègrent dès l’enfance et traînent jusqu’à la tombe et qui présentent la mère épanouie et bienveillante comme la norme, une part intégrante de l’identité féminine, et le seul lifegoal féminin qui vaille. C’est tout ce qu’une femme doit dire, penser et faire au sujet de la maternité pour qu’on lui fiche une paix très relative. C’est aussi la comparaison réflexe avec les autres mères et l’insécurité et la culpabilité toxiques qui en découlent. C’est le fait que la parentalité demeure, en 2019, un sujet qui alourdit surtout le quotidien et la conscience des femmes, et pas des hommes.

Grâce à « Bordel de mères », des femmes de tous horizons peuvent s’exprimer sur ce thème. Tous ces témoignages vont donc être la matière première de ton prochain livre ?

Je ne voulais pas écrire un livre purement théorique, je voulais que mon livre soit traversé d’expériences très différentes. Au départ, je souhaitais écrire un livre sur le fait que je ne voulais pas d’enfant, que je n’en ai jamais voulu et que ça posait un problème à tout le monde sauf à moi : c’est un thème qui m’intéresse depuis très longtemps. Mais j’ai travaillé sur autre chose, et puis la parole s’est un peu libérée sur le sujet, et surtout, Mona Chollet a écrit mieux que je n’aurais su le faire dans Sorcières, donc j’ai remisé ce projet dans un coin de ma tête. Puis je me suis rendu compte, au fil de mes lectures et des rencontres avec plein de femmes très différentes que cette pression au sujet de la maternité qui m’affectait moi, en tant que nullipare volontaire, était exercée sur absolument toutes les femmes, qu’elles veuillent des enfants ou pas, qu’elles en aient ou pas, et qu’elles aiment être mère ou pas : ce n’est pas toujours le cas mais c’est un énorme tabou en France. J’ai appelé ça la charge maternelle car c’est une sorte de préquel de la charge mentale. Cette charge mentale, le fait que les femmes passent leur temps à organiser la vie de tout le monde, est liée au fait que dès leur naissance on leur dit que c’est leur fonction première, que leur but est de trouver un mec, de faire des enfants et de se consacrer à ce foyer qu’elles ont créé. On apprend aux petites filles qu’elles sont faites pour s’occuper des autres. Ça commence dès le premier poupon, quand on leur dit « c’est ton bébé », qu’elles apprennent à s’en occuper, qu’on leur dit « fais attention » parce qu’on dit beaucoup aux petites filles de faire attention à leurs jouets, ce qu’on ne dit pas forcément aux garçons. Puis les petites filles jouent à la maman, à fonder une famille, à « combien tu auras d’enfants ? », « comment tu les appelleras ? » Les filles ont à se positionner très tôt par rapport à la maternité, ça fait partie de leur socialisation : ne pas jouer à la maman, c’est risquer de s’exclure du groupe dominant. Ça m’est arrivé. Mais ce n’est pas le cas des garçons : avant d’être adulte, les hommes n’ont pas à se projeter dans la paternité, ça ne fait pas partie de leur apprentissage de la masculinité. Au contraire. Parler d’enfants pour un adolescent, c’est suspect.

Comment cette charge maternelle impacte-t-elle nos vies de femmes ?

Le fait de fonder une famille et ensuite d’en prendre soin est vraiment ancré dans chaque femme, qu’elle le veuille ou non. Pendant très longtemps, le fait d’afficher mes positions concernant la maternité m’a marginalisée. Mais c’est un sujet très clivant de toute façon, puisqu’il est au centre de la vie de toutes les femmes, et qu’elles sont tenues de se déterminer en tant qu’individu par rapport à ça. Avant, un enfant était la conséquence de la vie de couple. Maintenant qu’on peut la programmer, la maternité est surinvestie, c’est logique. C’est comme si on avait une dette à l’égard de l’enfant qu’on a voulu, mais aussi de la société dans laquelle il s’insère. J’ai donc voulu écrire un livre sur la maternité qui soit dédié à toutes les femmes, un livre qui ne donne aucun conseil, mais qui décortique et déconstruit les préjugés les plus communs, pour que les femmes retrouvent un peu d’autonomie et je l’espère, de confiance en elles.

« J’ai voulu écrire un livre sur la maternité qui soit dédié à toutes les femmes, un livre qui ne donne aucun conseil, mais qui décortique et déconstruit les préjugés les plus communs, pour que les femmes retrouvent un peu d’autonomie et je l’espère, de confiance en elles. »

Tous les ans, il y a des milliers de nouveaux livres dédiés à l’éducation et aux soins des enfants, qui ont une place centrale dans la société. Et, forcément, ces théories se contredisent, ce qui aggrave l’insécurité des mères : elles ont toujours l’impression de ne pas faire comme il faut ou pas assez bien. La maternité est devenue un sujet tellement clivant qu’on en est arrivés à une espèce de communautarisme qui est extrêmement toxique et qui nuit profondément à l’égalité non seulement entre les femmes et les hommes mais aussi entre les femmes. Tu as la team pro-kids contre la team No Kids, les bio contre les autres, la team poussette contre la team portage, la team biberon contre la team allaitement, au sein de laquelle la team allaitement long est elle-même marginalisée… J’ai aussi réalisé que j’avais mes propres a priori sur la maternité : je souffrais des préjugés vis-à-vis des nullipares volontaires (il y en a un paquet !), et comme par réaction, j’estimais moi aussi que « les mères » (comme si c’était une masse indifférenciée et pas une somme d’individus !) c’était comme ci ou comme ça. Mais renverser le stigmate, répondre à un préjugé par un autre préjugé, ça annule l’argument, c’est complètement improductif. J’ai donc créé « Bordel de mères » et écrit ce livre parce que je pense qu’il est urgent que les femmes se parlent et s’écoutent sur ce sujet particulier qui est au cœur de leurs vies, qu’elles veuillent des enfants ou pas, et qu’elles en aient ou pas, pour qu’elles coexistent pacifiquement.
Et, à mon avis, le partage d’expériences est essentiel car si les femmes ne s’écoutent pas vraiment à ce sujet, c’est aussi parce que de manière générale, on n’écoute pas vraiment les femmes. Elles s’expriment peu dans l’espace public car elles y sont nettement moins nombreuses, mais elles s’expriment aussi moins dans l’espace privé. Beaucoup de filles m’ont dit ne pas avoir été écoutées quand elles ont voulu exprimer un mal-être, s’être entendu dire : « ça va passer », « c’est dans ta tête », « c’est rien », « on est toutes passées par là », « tu l’as voulu tu assumes ». Elles pensent alors qu’elles sont anormales et arrêtent de s’exprimer, ce qui aggrave leur sentiment d’insécurité, etc., etc.

Qui sont les femmes qui t’inspirent ?

Elles sont tellement nombreuses ! Ce sont les femmes qui tracent leur propre route pour être le plus proche possible de ce qu’elles sont, alors que c’est encore compliqué d’être une femme, même en France. J’admire les femmes anonymes qui se battent au quotidien pour faire advenir leurs projets et être de bonnes personnes, fidèles à ce qu’elles sont, respectueuses des autres.


Et il y a énormément d’écrivaines qui m’inspirent, qu’elles soient féministes ou pas. J’ai toujours énormément lu. Toni Morrison par exemple, c’est ma déesse sur terre, mon écrivaine préférée. Mais il y en a plein d’autres. Carson McCullers, Virginia Woolf, Dorothy Allison, Alice Munroe, Lauren Groff, Donna Tart ou Zadie Smith pour les contemporaines… Vraiment plein d’autres. Là je suis en train de dévorer le dernier livre de Rebecca Solnit qui est une féministe américaine dont je trouve la pensée extrêmement limpide. Elle écrit très bien en plus, ce qui ne gâche rien. Et je lis aussi le dernier livre que je n’avais pas lu de Chimananda Ngozi Adichie, Autour de ton cou, un recueil de nouvelles. Vivement qu’elle écrive à nouveau parce qu’après celui-ci, je vais tomber en panne de ses mots…

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