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Lettre à Sylvia Plath

« Ce qui reste ce sont tes mots, tous ceux qui furent publiés après ta mort, toi qui avais tellement cherché la reconnaissance sans la trouver, toi dont la fin tragique est devenue l’un des symboles du génie féminin écrasé par une société dominée par les hommes. »

27 octobre 2019

Sylvia-Plath

Crédit NC

Sylvia

Tu nais le 27 octobre 1932 dans la banlieue de Boston. Ton père Otto, émigré allemand, universitaire renommé dans le domaine de l’entomologie, a épousé l’une de ses étudiantes, de 21 ans sa cadette, Aurélia, d’origine autrichienne. Il lui a demandé d’arrêter de travailler, elle l’assiste dans ses travaux et s’occupe de toi, Sylvia, fillette souvent malade qui souffre de sinusite mais aussi de problèmes respiratoires, comme ton petit frère Warren.

Tu sais lire à 3 ans et tu es tout de suite soucieuse d’exceller et de créer. Tu n’as que 8 ans lorsque ton premier poème est publié en 1940. Cette année est aussi celle du drame car ton père meurt brutalement suite à l’amputation d’une jambe gangrénée par le diabète. Il pensait souffrir d’un cancer des poumons, alors incurable, et ne s’était pas fait soigner avant qu’il ne soit trop tard.

Ce premier drame te marque à vie, te laissant une peur de l’abandon que tous les chagrins, toutes les déceptions, toutes les séparations, viendront réactiver.

Ce père mythique, cultivant l’ambition et le culte du travail, hantera nombre de tes poèmes, toi qui décides, dès l’enfance, de devenir écrivain et poète. Brillante, perfectionniste, exigeante, tu t’imposes un rythme de travail effréné et des ambitions qui te laissent exsangue lorsque tu vis des refus de publication et ce que tu ressens comme des échecs.

Tu intègres en 1950 le Smith College à côté de Boston, l’une des plus prestigieuses universités américaines réservée aux femmes. Tu souffres de troubles bipolaires, tu subis une première série d’électrochocs, et tu fais une première tentative de suicide dans la cave de la maison maternelle en août 1953. Une dizaine d’années plus tard, tu décriras ce grave épisode dépressif dans La Cloche de verre, ton roman autobiographique. C’est à cette période que tu es prise en charge par la psychiatre Ruth Beuscher qui jouera un rôle important dans ta vie. Elle t’encourage à vivre ta sexualité plus librement, estimant que tes inhibitions sexuelles ont joué un rôle important dans ta dépression.

Tu fréquentes alors des garçons, tu t’éprends de certains, tu participes aux fêtes de la vie étudiante, tout le monde t’apprécie. Tu écris toujours, ton journal, des poèmes, tu envoies tes textes à des magazines, des éditeurs, tu participes à des concours. Tu es belle, drôle, tu as envie de vivre, mais souvent le doute te prend quant à ton avenir, tu passes de la joie à l’abattement, quand un texte est refusé, quand tu as l’impression que tu n’y arriveras jamais. Tu as aussi du mal à trouver ta place entre le conformisme de l’époque auquel ton éducation te conforte et la liberté que tu veux éprouver.

Après avoir obtenu ton diplôme en 1955, tu décroches une bourse Fulbright pour étudier en Angleterre, à l’université de Cambridge. Tu y rencontres Ted Hughes, un jeune poète anglais, c’est le coup de foudre. Tu écris ce soir de février 1956 : « il est venu vers moi, m’a regardée carrément dans les yeux et c’était Ted Hughes. (…) et je trépignais et lui aussi, et puis, crac, il m’a embrassée en plein sur la bouche (…) je hurlais intérieurement : oh, je pourrais me donner à toi, en un combat violent. » Vous vous mariez quelques mois plus tard, vous êtes sublimes, vous êtes talentueux, vous attirez tous les regards.

Vous partez deux ans aux États-Unis où vous essayez de vivre de votre plume mais où tu dois aussi occuper des petits emplois temporaires. Vous retournez à Londres en 1959 car tu es enceinte. Vous vivez en symbiose, vous vous aidez dans l’écriture, vous vous installez dans la campagne du comté de Devon. Ton premier recueil de poèmes, Le Colosse, est publié en 1960, l’année de la naissance de Frieda. Nicholas naît en 1962. Tu es partagée entre le grand bonheur de t’occuper de tes enfants et les difficultés que cela implique au quotidien et pour ton travail d’écrivain.

En juillet 1962, tu interceptes un appel destiné à Ted et reconnais la voix de la femme d’un ami. Tu écris le poème « Words heard, by accident, over the phone » et tu brûles dans ton jardin, sous les yeux désespérés de ta mère en visite chez vous, des lettres et des manuscrits de Ted, mais aussi le manuscrit de ton deuxième roman. Ted te quitte pour cette autre femme. Tu es en colère, tu revis l’abandon, tu plonges dans le désespoir, mais tu écris, tu écris, toujours et presque plus que jamais.

Tu te réinstalles à Londres avec les enfants, tu t’organises au mieux avec une jeune fille au pair pour pouvoir écrire et travailler. C’est un hiver dur et glacial, les coupures d’électricité se multiplient. Tu revois Ted le 8 février 1963, nul ne sait ce que vous vous dites ce jour-là. Le 10 février, tu calfeutres la porte de la cuisine après avoir déposé des tartines de pain beurré et des tasses de lait près des lits des enfants, et tu ouvres le gaz. Tu es retrouvée morte le lendemain, à côté de la gazinière encore allumée. Tu avais 31 ans.

Tu es enterrée dans le cimetière du village familial des Hughes, ta mère effondrée n’assiste pas aux funérailles. A l’annonce de ta mort, plusieurs de tes poèmes sont publiés dans des magazines et des revues littéraires en Angleterre et aux États-Unis. Ton dernier poème, « Edge », est comme un testament prémonitoire. Seul légataire moral de ton œuvre et de tes droits d’auteur, Ted ne cessera plus de porter ton œuvre à la connaissance du public et de la faire éditer. Tu es aujourd’hui considérée comme une autrice majeure de la poésie américaine.

Alors bien sûr il y a toutes ces polémiques sur lui, sur certains textes qu’il aurait choisi de ne pas faire publier parce qu’ils auraient évoqué la fin de votre mariage, sur le rôle qu’il aurait pu jouer dans ton suicide, lui dont la maîtresse, cette jeune femme pour qui il t’avait quittée, se suicidera de la même manière que toi avec leur fille six ans plus tard. Des polémiques qui importent peut-être peu. Des polémiques contre lesquelles vos enfants se sont élevés, Frieda s’opposant à ce que tes mots soient utilisés dans des films racontant votre vie, elle qui est aussi devenue artiste, peintre, écrivain.

Ton fils Nicholas, lui qu’on voyait bébé dans tes bras, respirant le bonheur, sur l’une des photos qui restent de toi, était brillant lui aussi, devenu biologiste, expert en écologie. Il s’est suicidé par pendaison en 2009, te retrouvant peut-être dans un espace au-delà de la souffrance, du sentiment d’abandon, de la peur de ne pas être à la hauteur. Un espace où le mystère qui entoure encore la fin de ta vie importe peu, un espace où ce qui reste ce sont tes mots, tous ceux qui furent publiés après ta mort, toi qui avais tellement cherché la reconnaissance sans la trouver, tiraillée entre conformisme et soif de liberté, entre vocation et renoncement, entre pulsion de vie et désir de disparition, toi dont la fin tragique est devenue l’un des symboles du génie féminin écrasé par une société dominée par les hommes.

Laura

Sylvia-Plath

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