23 octobre 2019
Photo : Betony Vernon par Raul Higuera
Designer, créatrice de bijoux et d’objets érotiques, Betony Vernon s’inspire du corps, des plaisirs des sens et de la sexualité humaine. Née dans une petite ville des montagnes de Virginie en 1968, elle est venue vivre en Italie à l’âge de 20 ans pour commencer une carrière de joaillère. Ayant développé sa propre maison de bijoux luxueux et érotiques, elle réside aujourd’hui à Paris. Tout son travail est construit autour de sa vision du corps comme espace de plaisir.
Betony Vernon est également autrice. Dans La Bible du Boudoir – Guide du plaisir sans tabou, elle combat avec une plume érudite et addictive le tabou qui pèse encore sur le plaisir. A l’heure des sex toys et du tout porno, à l’heure où on pourrait avoir l’impression que le sexe n’est plus tabou, Betony Vernon met en effet en lumière les fausses croyances qui inhibent encore toute une partie de notre sexualité et nous empêchent de la vivre pleinement. Guide détaillé et instructif, nourri de multiples références historiques et culturels, ce livre est aussi un manifeste invitant à célébrer l’art du sexe. On y trouve tout un tas d’idées de pratiques, des plus basiques aux plus sophistiquées, qui donnent envie de jouer sans honte, sans culpabilité, pour le plaisir, l’extase, la joie, la félicité. Ce sont de tous ces sujets terriblement passionnants et encore trop mystérieux dont nous avons parlé avec Betony Vernon, mais également de ses inspirations et de ses projets.
Betony, tu es designer de bijoux et d’objets érotiques, autrice et anthropologue sexuelle. Qu’est-ce qui t’a donné envie de créer autour du corps et du plaisir ?
Je m’inspire de la sexualité humaine depuis la création de ma collection Sado-Chic en 1992. A partir de ce moment-là, la sexualité et le corps érotique ont imprégné presque tout mon travail. Je cherche à lutter contre les tabous les plus profonds qui sont liés au plaisir, et non au sexe en soi.
Tu as publié en 2013 La Bible du Boudoir – Guide du plaisir sans tabou (Robert Laffont, réédition en 2016) dans laquelle tu replaces le bien-être et la connaissance de soi au cœur de la sexualité. Qu’est-ce qui t’a donné envie d’écrire ce livre ?
J’ai écrit La Bible du Boudoir comme une initiation à ce que j’appelle la cérémonie sexuelle et aux outils et techniques qui la rendent possible. Je crois qu’en engageant le corps entier en tant qu’organe sexuel et sensuel dans un environnement ritualisé, on peut prolonger radicalement le temps que nous consacrons à faire l’amour et révéler la capacité innée du corps à procurer un plaisir profond, presque transcendantal. Le corps, l’esprit et l’âme doivent être honorés comme un tout, appréhendés comme interdépendants, pour être en mesure d’expérimenter de telles cérémonies et pour en partager les bénéfices extatiques.
Je cherche à promouvoir l’intelligence sexuelle et à dissiper les fausses croyances séculaires qui empêchent les amoureux de s’aventurer dans de nouveaux domaines de plaisir. Il ne faut pas confondre le mystère et l’ignorance ! Mon objectif est d’éradiquer les effets négatifs de la déception sexuelle, de l’ennui et du manque de compréhension. Je cherche à faire naître un plaisir accru chez chacun de mes lecteurs.
La connaissance du corps de l’autre, la durée du plaisir, le bondage, la flagellation érotique… Tu prônes la joie et l’extase, évacuant la honte et la culpabilité. La société occidentale te semble-t-elle aujourd’hui plus ouverte à ces pratiques et à une philosophie érotique ?
Quand on m’a initiée aux pouvoirs de la stimulation du corps entier dans les années 1980, on m’a bien dit que les outils et techniques de ces jeux pour adultes, comme ceux qui en profitaient, risquaient d’être qualifiés par la plupart de « SM », de « sombres », de « sales », de « pervertis »… Je voulais changer cette image négative, car la vie m’a enseigné l’importance du jeu et parce que l’amour m’a appris que le sexe le meilleur n’est jamais aussi doux que le décrit Hollywood. Aujourd’hui les choses évoluent lentement, la bataille pour l’égalité des sexes reste difficile, les clichés sexuels et les fausses croyances sont encore profondément ancrés dans notre société. Nous n’avons pas encore vu la lumière au bout du tunnel !
Au début des années 90, lorsque j’ai conçu la collection Sado Chic, le marché érotique était limité et encore très clandestin, pour ne pas dire du mauvais côté de la ville. Depuis que nous sommes entrés dans le 21e siècle, le désir des femmes de posséder leur corps et leur plaisir coïncide avec celui de la communauté LGBQTIA + de vivre une sexualité sans tabou. J’ai donc naïvement cru qu’un nouvel âge de l’illumination sexuelle était en train de naître. Aujourd’hui pourtant, même si les choses ont évolué dans une direction plus favorable au sexe, notamment grâce à Internet et à des phénomènes purement commerciaux tels que Cinquante nuances de Grey, il serait naïf de prétendre que notre société est sexuellement éclairée. Il ne faut pas confondre le flux écrasant d’images sexuelles commercialisées qui servent à promouvoir la vente de biens et services de consommation, avec la connaissance, l’éducation et la liberté en matière de sexualité.
« Il serait naïf de prétendre que notre société est sexuellement éclairée. Il ne faut pas confondre le flux écrasant d’images sexuelles commercialisées qui servent à promouvoir la vente de biens et services de consommation, avec la connaissance, l’éducation et la liberté en matière de sexualité. »
Il existe encore une vraie censure qui menace les valeurs de la démocratie, y compris la liberté d’expression sexuelle et d’éducation. En tant qu’artiste et autrice inspirée par la sensualité humaine, j’ai été bannie, censurée et bloquée par Facebook et Instagram. Bien que La Bible du Boudoir soit un manuel utilisé par des médecins, des psychologues et des thérapeutes du monde entier, je ne suis pas autorisée à en faire la promotion. La santé et le bien-être sexuels sont essentiels à notre bien-être général, mais le sujet est jugé inapproprié dans l’espace virtuel. Je n’ai jamais enfreint les règles relatives au contenu des médias sociaux, mais j’ai quand même été cataloguée et mise sur liste noire. Étant donné que le nouvel ordre repose sur les médias sociaux, ce type de censure est un obstacle vraiment dangereux pour les concepteurs comme moi.
Sur la base de mon expérience personnelle, je ne peux donc malheureusement pas dire que la société occidentale est plus ouverte aujourd’hui qu’elle ne l’était au tournant du siècle. Le corps féminin et le plaisir sexuel en général sont encore honteux et censurés. Ce n’est pas le moment de s’asseoir sur nos lauriers, mesdames et messieurs !
Connaître son corps, maîtriser sa sexualité et son plaisir, pour les femmes c’est aussi prendre du pouvoir. Ta démarche est-elle féministe ?
Mon approche est résolument féministe car je soutiens l’égalité des droits pour les femmes et pour tous. On doit aussi faire attention à ne pas écraser qui que ce soit, hommes inclus, dans la poursuite de la lutte pour l’égalité, tout en assumant notre pouvoir.
Crédit : Raul Higuera
Tu avais exposé au Musée d’Art Moderne il y a deux ans (Medusa, Bijoux et tabous, 2017) avec notamment une performance autour du bondage résultant de plus de 20 ans de recherche sur les effets de la contrainte et de la suspension partielle ou totale du corps. Comment l’exposition a-t-elle été accueillie ?
Au cours de l’exposition, la Boudoir Box été exposée pour la première fois depuis sa fabrication en 1999. Ça a été un tournant dans ma carrière car elle avait jusque-là été tenue secrète auprès du grand public. De même, je n’avais encore jamais travaillé avec le corps humain en public. Être invitée à faire un événement à la salle Duffy était un honneur. J’ai construit un dispositif qui me permettait de suspendre mon sujet avec des lanières de cuir. Il était libre de bouger, ses mouvements n’étaient pas restreints. Des électrodes étaient placées sur ses tempes afin de capter les fréquences de ses ondes cérébrales : via un synthétiseur, le son de ces fréquences était ensuite émis dans la pièce en temps réel. Mon objectif était de mettre en transe mon sujet et tous les spectateurs qui assistaient à la séance. J’ai atteint mon objectif et tout le monde a quitté la salle en se sentant calme mais ravi.
Crédit : Yasmin Gross
Quels sont tes projets aujourd’hui ?
Je participe à une exposition collective en Suisse cet automne au Gewerbemuseum de Winterthur. Je travaille sur de nouveaux projets, notamment sur un nouveau livre et sur une version audio de La Bible du Boudoir. Et j’ai un autre projet très excitant dont je ne peux pas encore vous dévoiler les détails… mais je peux vous donner un indice : il se déroulera dans les bras de Dame Nature. Alors restez à l’écoute !
Qui sont les femmes qui t’inspirent ?
Ma mère, Ann Dearsley Vernon, est l’une de mes plus grandes inspirations féminines. Elle était militante pour les droits civiques et elle a participé aux sit-ins de Greensboro en février 1960, des actions directes non violentes qui avaient pour but de mettre fin à la ségrégation raciale aux comptoirs « Whites Only » des restaurants de Greensboro en Caroline du Nord. C’était les premiers sit-ins à se dérouler aux États-Unis. Ils ont participé à la révolution des droits civiques. Cela a valu à ma mère d’être renvoyée de l’école et d’être renvoyée à sa famille en Angleterre. Elle a heureusement réussi à revenir an Amérique pour terminer ses études aux Beaux-Arts, mais elle a été stigmatisée, humiliée et punie pour ses actes tout au long de sa vie. Mes sœurs et moi n’avons plus eu le droit de la voir à partir de 1972, mais on a toutes renoué avec elle à l’adolescence. Ma mère m’a appris à faire ce qui s’imposait, même si ça pouvait parfois être dangereux. Elle m’a permis de comprendre que si on contribuait à un changement radical pour le mieux de toute l’humanité, ça valait la peine de prendre des risques.
Ta couleur préférée ?
Le rose poudré parce que ça me donne l’impression de porter une seconde peau et le violet foncé parce que ça me fait me sentir comme une reine !
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Boudoir Box
Par Laura / Elles créent, Noir Mystère