25 mars 2019
Comédienne de formation, Stéphanie Pillonca a commencé sa carrière à la télévision, en tant que chroniqueuse, avant de réaliser des documentaires pour Arte et France 2. En 2016, elle s’est essayée à la fiction en réalisant son premier long-métrage, l’adaptation de Fleur de tonnerre de Jean Teulé qui retrace la vie d’une figure féminine emblématique et à contre-courant, celle de la célèbre empoisonneuse Hélène Jégado. Elle tourne actuellement un documentaire pour le cinéma, C’est toi que j’attendais, qui traite de l’adoption des pupilles de la nation.
Nous avons rencontré Stéphanie qui nous a parlé avec finesse, passion, sensibilité, générosité, de son parcours, de ses projets, des femmes qui l’inspirent, et, surtout, de l’adoption, le thème du documentaire sur lequel elle travaille depuis près de deux ans. Elle a choisi d’aborder l’adoption à travers plusieurs angles, en parlant des couples qui attendent un enfant, mais aussi du devenir des enfants qui naissent « sous X » et des mères de l’ombre qui ont accouché « sous X » et cherchent à retrouver leur enfant.
C’est toi que j’attendais, dont la réalisation s’achèvera cet automne, devrait sortir dans les salles avant Noël. On a hâte de découvrir les personnages dont Stéphanie a choisi de raconter les histoires.
(Crédit : Image du film C’est toi que j’attendais de Stéphanie Pillonca, en cours de tournage)
Stéphanie, après une formation de comédienne, tu es devenue réalisatrice et scénariste. Qu’est-ce qui t’a donné envie de faire ce métier ?
J’ai fait le conservatoire et la classe libre du cours Florent pour devenir comédienne, puis j’ai été chroniqueuse pour plusieurs émissions de télé. J’ai réalisé près de 300 sujets dans lesquels on se mettait en scène, ce qui m’a appris à raconter, à fabriquer des histoires, à retranscrire ce que je voyais… et ça m’a beaucoup plu. Après j’ai rejoué la comédie mais je trouvais plus épanouissant pour une femme de s’attaquer à cette autre face du métier, parce que c’est très riche de monter un projet, de le réaliser, de communiquer autour. Et les choses se sont faites naturellement : un court-métrage, un documentaire, un long-métrage, d’autres documentaires, le documentaire de cinéma que je tourne en ce moment, d’autres choses en cours et à venir… Quand on est une femme, je trouve que c’est bien de pouvoir avoir une vie, une carrière, avec plusieurs facettes.
Penses-tu qu’il est plus difficile pour une femme de se faire une place dans le milieu de la réalisation et de la production ?
Tout le monde s’accorde à dire qu’il y a de plus en plus de films de femmes, et c’est vrai, bien heureusement, parce que les femmes s’émancipent quant à leurs désirs artistiques. Mais les financiers, qui sont majoritairement des hommes, nous font-ils confiance ? J’en doute. Beaucoup de mes collègues se veulent très rassurantes pour ne pas froisser ces messieurs qui décident, au sein des chaînes et des distributeurs, à qui donner des fonds selon leur bon vouloir et leur grand sens artistique… Mais c’est très dur pour une femme, je le vois au quotidien, c’est dur de convaincre, de rassurer. Dans tous mes films, je rencontre ce petit souci avec un homme. Que ce soit de manière scandaleuse ou à peine sensible, qu’on soit très jeune ou plutôt mûre, il y a toujours un truc par rapport à la femme : est-ce qu’elle pourra, est-ce qu’elle saura ? C’est très vrai en ce qui concerne la technique : on aime bien la femme pour ouvrir des voies, pour séduire, pour convaincre, pour prêcher, mais quand elle a des exigences techniques on trouve ça bizarre. Est-ce qu’elle connaît bien, est-ce qu’elle sait de quoi elle parle ? Il y a toujours une petite défiance ou une petite inquiétude, sournoise, larvée, inconsciente sûrement parce que je ne dis pas que les décideurs financiers se disent « ah, c’est une femme je vais la saquer ». Non… mais, dans l’inconscient d’un homme qui décide, il y a toujours un rapport avec sa femme, avec sa mère, parce que derrière l’homme il y a le père, le fils, le mari.
En 2012, tu as réalisé le documentaire Je marcherai jusqu’à la mer, salué par la critique, racontant la vie d’une femme handicapée. Tu as de nouveau choisi un thème fort pour C’est toi que j’attendais que tu es en train de tourner. Qu’est-ce qui t’a donné envie de parler de l’adoption ?
Je connaissais bien le problème parce que, lorsque je suis devenue maman, plusieurs de mes amies sont devenues mamans, mais différemment. Elles le sont devenues par le biais de la PMA, de l’adoption, de la GPA aussi, et je me suis vraiment interrogée sur la parentalité. Qu’est-ce que signifie pour un couple ce besoin, cette urgence de l’enfant, la nécessité de créer une famille ? J’ai rencontré énormément de couples pour lesquels c’était vital.
J’ai vu des couples vivre ce parcours. L’annonce d’abord : « vous n’êtes pas fertile ». L’attente, cette longue attente, avec tout ce qui se cristallise en fantasmes, en doutes, en inquiétudes, avec la douleur de la PMA qui a éreinté le couple avant, et en particulier la femme. Et, de nouveau, l’attente. Et puis j’ai vu des enfants grandir, avec des interrogations. J’ai vu mes amies dire : « on va refaire le chemin avec toi pour te montrer d’où tu viens ».
Il n’y a donc pas que l’adoption, il y aussi l’avant et l’après. Je ne voulais pas me limiter à un : « oh, formidable on accueille un enfant, il est là ». Je voulais montrer ce que c’est que d’adopter aujourd’hui, en France, un pupille de la nation, ce que c’est aujourd’hui d’être un jeune couple qui ne peut pas avoir d’enfant, ce que c’est d’être un couple qui attend, qui attend depuis trop longtemps, et qui va avoir un enfant.
Le miracle du film, c’est qu’un bébé est arrivé pour l’un des deux couples que j’ai choisis après en avoir vu une centaine. C’était complètement inouï, parce qu’on a pu suivre leur histoire depuis un an et demi, jusqu’à l’arrivée du bébé à la maison. J’ai entendu cet appel, lorsque la tutrice de Paris, mandatée par le Préfet, leur a dit : « On veut vous parler, on a pensé à vous pour vous confier un petit enfant de chez nous, est-ce que vous pouvez venir me voir ? ». On a suivi toutes les démarches, toutes les instances, on a suivi cette petite fille qui vivait depuis deux mois et demi dans un foyer dans Paris, on a suivi la rencontre et le départ dans sa maison. Je ne pensais pas que j’arriverais à avoir ces moments, en vérité de déroulé. C’était fantastique. Quant au deuxième couple, il attend, il saura en septembre s’il a son agrément ou pas, c’est-à-dire son passeport pour l’adoption.
Dans mon film, je montre également le rôle des travailleurs sociaux, dans ce foyer dans lequel on a tourné à côté de la Gare du Nord. C’est beau, j’ai été très émue par leur travail. Il y a tous ces enfants qui sont retirés à leurs familles parce que maltraitantes, parce que dangereuses, du petit enfant qui vient de naître et est confié aux services sociaux parce que sa maman ne peut pas s’en occuper jusqu’à ceux qu’on retire pour un certain temps de leurs familles sous décision du juge. Tous ces enfants sont protégés, dans notre ville, et ça m’a beaucoup touchée, parce que l’enfance est vraiment quelque chose de particulier.
(Image du film C’est toi que j’attendais de Stéphanie Pillonca, en cours de tournage)
Tu filmes également le quotidien d’un homme né « sous X » à la recherche de ses origines, désirant retrouver celle qui lui a donné la vie. Pourquoi avoir choisi cet angle ?
Quand j’ai filmé la petite fille née sous X, je me suis dit qu’elle allait grandir et devenir adulte. Et j’ai eu envie de suivre ça. Alors j’ai retrouvé 100 personnes nées sous X et j’ai choisi un garçon. Il s’appelle Sylvian, il cherche sa maman. Cela fait plusieurs années qu’il cherche, depuis la naissance de ses filles. Il existe aujourd’hui une grande banque de données, le CNAOP, qui détient les informations des femmes qui ont décidé d’accoucher sous X. Elle est consultable par les nés sous X et alimentable par la fille qui a accouché sous X qui, toute sa vie, peut se dire qu’elle regrette, qu’elle aurait bien aimé laisser des informations, qu’elle peut maintenant en laisser à son enfant qui les trouvera si jamais il vient. Quand Sylvian est né, en 1972, le CNAOP n’existait pas. Il n’y avait rien du tout. Mais au moment de la création du CNAOP, une lettre a atterri dans son dossier. Elle avait été écrite à un médecin, pour lui demander son avis, par la directrice de la maison des maternelles de Chartes qui avait accueilli une jeune femme ayant accouché sous X et qui, dix jours plus tard, allait très mal. Quand Sylvian a découvert cette lettre, il a commencé à chercher cette femme et nous l’avons suivi. Elle avait divorcé, repris son nom de jeune fille, mais on a fini par la retrouver. Elle a lu la lettre, peu d’éléments lui sont revenus évidemment, 45 ans après, mais elle s’est clairement rappelée d’une jeune femme qui avait fait 500 km en voiture, qui était venue accoucher, qui était repartie parce qu’elle avait un fils de 3 ans qui l’attendait, et qui était blanche, ce qui est une information très importante pour mon personnage qui, lui, est métis.
J’ai aussi la chance de suivre une anglaise, Alexandra, qui a accouché sous X en France à 16 ans. Elle était venue faire du ski à Méribel, c’était sa première fois, et dans cette première fois elle est devenue maman. Et tous, autour d’elle, famille, référents médicaux, se sont accordés à lui dire qu’il fallait pour sa vie personnelle le laisser, parce qu’il y aurait sûrement une famille très bien en France qui voudrait l’adopter. Mais Alexandra a 45 ans aujourd’hui et il ne s’est pas passé un jour sans qu’elle ne pense à lui. Quand une fille décide d’accoucher sous X, elle a plusieurs possibilités : elle peut laisser son nom, son prénom, son identité complète, donner des raisons ou pas, laisser une lettre, un objet, un souvenir, raconter son histoire ou pas, ou mettre le grand secret. C’est une enveloppe ouverte que l’enfant pourra consulter avant ses 18 ans, ou une enveloppe fermée et dans ce cas l’enfant devra attendre ses 18 ans pour avoir des informations s’il le souhaite. Alexandra, elle, avait laissé son nom, ses coordonnées, mais entre-temps, en 29 ans, elle a déménagé, elle a changé de nom… Et là elle va revenir à Chambéry, puisqu’elle a accouché à Méribel, elle va rencontrer le délégué CNAOP pour cette région et lui dire « voilà, j’ouvre mon dossier, s’il me cherche, je veux qu’il trouve ». Et je vais la filmer.
Ce qui est formidable, dans toutes ces histoires, c’est aussi de découvrir à quel point les gens sont fédérés. Il y a des associations, des généalogistes, des détectives privés, qui font des recherches pour le rapprochement des familles. Et, la grande révolution, ce sont les réseaux sociaux. Il y a un avant et un après Facebook pour les recherches des nés sous X. On le voit bien dans le film Pupille. Et il y a une autre vraie révolution, c’est l’ADN. Il y a donc eu des avancées prodigieuses pour tous ces enfants et ces mères de l’ombre parce que, quand vous donnez votre ADN, vous allez matcher sur les sites. Alors bien sûr, c’est interdit en France, et je trouve ça scandaleux, parce qu’on vous parle de liberté, de fichage, mais je ne pense pas que le grand complot passera par l’ADN… Moi je vois juste des gens qui arrivent à se retrouver, à savoir d’où ils viennent, parce que je me rends compte, à travers ce film, qu’il y a deux problématiques : avoir un enfant, être une famille, et savoir qui on est, d’où on vient. Alors bien sûr on peut retrouver une femme qui n’a pas envie de nous retrouver, mais le fait de savoir dans quelles conditions on a été conçu, de quelle partie du monde on vient, de quel milieu, ça fait un bien fou. Et cela ne remet pas du tout en cause l’éducation que ces personnes ont reçu par leur famille adoptive. D’ailleurs, souvent, ceux qui cherchent sont ceux qui ont été le plus aimés, car il faut être costaud. La mère adoptive de Sylvian, que j’ai filmée et qui hélas vient de mourir, a toujours soutenu son fils dans sa recherche, toujours, et ça c’est un vrai acte d’amour, une vraie leçon d’humilité, c’est se dire « je vais l’aider jusqu’au bout ».
La France a de gros progrès à faire, c’est le Maréchal Pétain qui a inventé l’accouchement sous X. Et, aujourd’hui, on est le seul pays au monde avec le Danemark à pratiquer encore l’accouchement sous secret comme cela, alors que la Cour européenne des Droits de l’Homme a reconnu le droit de connaître ses origines. Je pense qu’une fille peut choisir de confier son enfant, qu’il faut trouver des moyens pour préserver l’équilibre et la sécurité d’une personne qui a décidé de ne pas se faire connaître, mais aussi essayer de faire en sorte que celui qui est né sous le secret puisse savoir qui il est et d’où il vient, parce que rester dans l’incertitude, le chaos, le néant, c’est terrible.
(Image du film C’est toi que j’attendais de Stéphanie Pillonca, en cours de tournage)
Quels sont tes prochains projets ? Documentaires, fictions ?
En octobre, je vais commencer un film pour M6, un unitaire. En fait, j’ai récemment fait un film pour Arte, qui passera probablement à la rentrée, sur le handicap, la danse intégrée, l’art thérapie, pour lequel j’ai été reçue à l’Élysée il y a peu. En faisant ce film, j’ai rencontré beaucoup de papas d’enfants trisomiques. Et j’ai découvert qu’en général les hommes avaient beaucoup de mal avec ça. Les femmes semblent avoir la capacité de se relever plus vite, tandis que les hommes ont des difficultés à le faire les premiers temps. Et puis, bizarrement, quand vous interviewez des papas une fois que les enfants sont plus grands, ils vous disent : « ma fille ou mon fils m’a appris à être un homme, à être un père, sans lui jamais, il m’a appris l’humilité, la patience, la tolérance, à ouvrir mon cœur, à avoir un autre regard, un autre œil sur le monde ». Il semble donc y avoir une période transitoire plutôt douloureuse avant d’en arriver là, et c’est cette période que je veux évoquer. Ce sera quelque chose de léger et d’heureux, parce qu’il faut pouvoir aborder les grands thèmes, même les thèmes les plus durs, avec de la légèreté, sans donner de leçon.
Quelles sont les femmes qui t’inspirent ?
Je pense à George Sand, à Colette, à Simone de Beauvoir évidemment, à Simone Veil, à Olympe de Gouges, à toutes les femmes qui ont essayé de dire des choses. Je pense à toutes les femmes qui ont essayé d’exister alors qu’on ne voulait pas entendre parler d’elles, qui ont réussi à défier les autorités, à courir quand on leur interdisait de courir, à se mobiliser quand elles n’avaient pas encore le droit de vote.
Mais pour moi, les femmes les plus fortes sont celles qui ont été des martyrs, qui ont vécu les camps, les mariages forcés, l’emprisonnement, et qui témoignent. Toutes les femmes qui ont vécu la douleur sont exemplaires parce qu’elles nous donnent envie de revendiquer, de nous battre, de nous emparer de causes. Je pense tout le temps aux femmes qui sont dans la douleur en me disant que moi j’ai la possibilité de pouvoir raconter des histoires, alors j’essaie d’en raconter.
Je pense aussi à toutes les femmes qui ont passé leurs vies derrières des fourneaux à élever leurs gosses, à se taire face à l’ordre établi, au joug de l’homme. Elles sont tellement exemplaires.
Toutes les femmes sont inspirantes. Ma grand-mère, par exemple, était modiste, elle faisait des chapeaux quand elle était enfant, et elle me disait qu’elle avait appris à lire toute seule avec le papier journal qui bourrait les chapeaux pour donner les formes. Et mon autre grand-mère, elle, ne savait ni lire ni écrire. Ce sont des femmes qui m’inspirent parce que je me dis que moi j’ai la possibilité, que moi j’ai les outils, et que pour leur mémoire je vais essayer de faire des choses.
Stéphanie Pillonca – Crédit photo : Harcourt
Par Laura / Chair, Elles créent, Elles racontent