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Lettre à Anna Akhmatova

« Tu es l’une des plus grandes figures féminines de la littérature russe, Anna, et pourtant il existe peu de biographies de toi, comme si la grande histoire avait englouti ton histoire à toi. »

11 juin 2019

Anna Akhmatova

Anna,

Tu nais le 11 juin 1889 à Odessa, en Ukraine, dans une famille aisée. Tu passes ton enfance à Tsarskoïe Sélo qui est alors un lieu de résidence de l’aristocratie. Toute jeune, tu pars étudier le droit à Kiev, puis l’histoire et la littérature à Saint Pétersbourg. Ces années sont douces et légères. Tu fréquentes les salons littéraires, tu publies tes vers dans des revues.

Toi qui es née Anna Andreïevna Gorenko, tu prends le nom d’Anna Akhmatova. C’est avec ce nom de plume que tu vas entrer en littérature et dans l’histoire, pour devenir l’une des plus importantes poétesses russes du 20e siècle.

Tu rencontres le poète Nicolaï Goumilev en 1903, tu l’épouses en 1910. Vous voyagez, en Italie, en France, c’est encore possible. Vous avez un fils. Vous participez à la fondation de l’école acméiste, avec votre ami Mandelstam. Vous voulez revenir à un langage simple, naturel, pour dire les émotions plus fort. Tu es leur égérie, « la Reine de la Neva », « l’Âme de l’Âge d’Argent ».

Tes premiers livres, Soir et Rosaire, publiés en 1912 et 1914, rencontrent le succès. Tu aimes écrire l’amour, tu aimes écrire un homme et une femme, l’intensité de leurs rapports, leurs ambiguïtés, tu aimes écrire les souvenirs, le temps qui passe, tu aimes écrire le destin de la femme créatrice.

Après 1914, après la révolution, tu continues à écrire, exprimant à la fois le sentiment tragique de l’écoulement d’un monde et une confiance dans le destin de la nouvelle Russie. Tu ne crois pas aux fondements idéologiques de cette révolution, mais tu refuses d’émigrer, tu refuses de quitter ton pays.

Beaucoup de tes amis écrivains partent et, parmi ceux qui restent, beaucoup ne survivent pas. Le père de ton fils, Goumilev, de qui tu t’étais séparée en 1918, est fusillé en 1921.

Toi, tu restes en Russie, jusqu’à ce qu’il ne soit plus possible d’en partir. Mais tu restes toi et c’est pour cela que ta poésie est interdite de publication en 1922, condamnée comme « élément bourgeois ». Tu continues à écrire mais tes vers ne sont plus lus que sous le manteau, recopiés à la main dans ces cahiers que l’on nomme samizdat, ces cahiers dont j’ai appris l’existence quand j’étudiais le russe au lycée, fascinée de découvrir que vous aimiez tellement les mots, que vous souffriez tellement d’en être privés, que vous passiez des heures à recopier les textes interdits pour que la littérature circule tout de même, prenant le risque d’en mourir si vous étiez pris à cette subversion.

En 1941, lors du siège de Leningrad, tu écris un long poème aux accents patriotiques, chantant l’héroïsme de la ville, et tu es de nouveau publiée. Mais ce retour en grâce sera de courte durée puisque l’année 1946 te voit radiée de l’Union des écrivains soviétiques pour « érotisme, mysticisme et indifférence politique ».

Tu vis de traduction, tu écris toujours, toi, « la reine de la Neva », tu écris parce que pour toi il n’y a pas de vie sans écriture. Tu vis dans la peur, la misère, l’humiliation. Tu vois tes amis arrêtés, exilés, déportés. Tu sais la mort de ton bien aimé Mandelstam sur le chemin du goulag, de la Kolyma, très loin de vos années de jeunesse, là-bas, tout là-bas, tout à l’Est.

Peu de temps après la mort de Staline, après ces décennies terribles, dans ce pays qui ne sait plus vraiment qui il est, le régime de Khrouchtchev te réhabilite, en 1955. Tu es autorisée à revoir ton fils, dont tu étais privée depuis des années, qui avait lui aussi été un temps déporté. C’est à cette période que tu écris ton œuvre majeure, ton œuvre suprême, ton Requiem, dédié à la mémoire de toutes les victimes de la répression stalinienne, qui ne paraîtra qu’en 1963 à Munich.

Tu es élue présidente de l’Union des écrivains en 1964 et nommée docteur Honoris Causa de l’Université d’Oxford l’année suivante. Tu peux alors, enfin, sortir d’URSS. Peut-on s’imaginer ce que c’est que d’avoir vécu enfermée dans son pays, emmurée vivante, pendant des décennies ? Tu meurs d’une crise cardiaque à ton retour, après avoir foulé l’étranger des pieds, la tête certainement pleine des mots qui battaient encore sous ta peau.

Tu es l’une des plus grandes figures féminines de la littérature russe, Anna, et pourtant il existe peu de biographies de toi, comme si la grande histoire avait englouti ton histoire à toi. J’aimerais te toucher de plus près, traverser le temps, chercher sous les mots, alors je me dis qu’un jour, peut-être, bientôt, j’écrirai un livre qui parle de toi.

Laura

Photo d’Anna Akhmatova

Anna Akhmatova

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