11 février 2020
Crédit photo Emilia Lyon
Sucre d’Orge est une des figures de la scène burlesque parisienne. Elle a commencé l’effeuillage il y a 10 ans un peu comme un coup de bluff et elle se produit aujourd’hui avec une dizaine de numéros dans plusieurs cabarets et événements privés à Paris, en province et à l’étranger. Dotée d’un charme suranné et poétique, Sucre d’Orge propose des prestations d’effeuillage avec de magnifiques costumes sur-mesure en plume, soie, latex… s’inspirant du XVIIIe siècle libertin, des mythes de l’Antiquité, des ballets russes ou encore des films muets.
Pour étoffer ses performances et continuer à se stimuler, elle s’est mise au luth il y a 3 ans et a créé un récital polisson de luth Renaissance, un univers complètement “boudoir” qui peut inclure des lectures érotiques et de l’effeuillage. Curieuse et espiègle, Sucre d’Orge a fait le choix de s’amuser et ne retournerait pour rien au monde travailler dans un bureau.
Sucre d’Orge, tu te produis sur scène depuis plus de 10 ans. Comment es-tu devenue danseuse et effeuilleuse burlesque professionnelle ?
Une amie, Sorrel Smith, organisait des séances de dessin sur modèles vivants costumés appelées “Dr Sketchy’s anti-art school”. C’est un concept qui vient de New York et qui est développé partout dans le monde : les modèles ne sont pas totalement nus mais sont plutôt costumés selon un thème. Lors de ces séances, il y avait souvent une effeuilleuse américaine qui venait faire un show. Un jour, Sorrel m’a proposé de poser, j’avoue que je n’étais pas très à l’aise à l’idée de montrer mes seins en public mais je me suis dit : pourquoi pas ? Et ça s’est bien passé car le regard d’un public de dessinateurs est très concentré sur le dessin. Le fait que tu sois nu ou pas ne change rien. J’ai par la suite proposé d’essayer de faire un effeuillage sur le thème des jouets. Je l’ai fait en automate, un peu à ma façon, c’était court, ça durait seulement 30 secondes. J’avais peur que ce soit nul mais en voyant le résultat en vidéo je me suis dit que ça n’était pas si mal. La fois suivante, j’ai proposé de refaire un effeuillage, le thème était Marie-Antoinette et ça se passait cette fois-ci dans un club privé.
Après l’effeuillage, la directrice artistique du Club Miss Marion m’a demandé si j’étais libre pour le Nouvel an, sachant qu’on était en septembre et que ça n’était pas du tout ma profession ! J’ai accepté et ça a été ma première vraie performance dans le sens où j’étais payée pour faire ça devant un public qui attendait quelque chose. Ça peut paraître bête mais ça a pas mal changé mon rapport à l’exercice, car les deux premières fois c’était pour une amie et des dessinateurs. Pour cette troisième performance, je me suis vraiment dit qu’il ne fallait pas que je me plante. A l’époque, je prenais des cours de barre au sol avec une prof de danse classique à qui j’ai demandé de regarder la chorégraphie que j’avais préparée pour cette première vraie performance. Ma prof était très exigeante sur les temps, parfois trop pour moi, elle m’a poussée en me disant que plus je ferais une bonne chorégraphie et plus on me rappellerait. Je n’étais pas dans cette logique à ce moment-là car j’avais un autre boulot mais elle a insisté : « Tu sais, dans la vie, on ne sait jamais ce qui peut se passer ». Et effectivement… C’était un peu le renouveau du burlesque à Paris, il n’y avait pas encore beaucoup de personnes disponibles pour faire des shows dans des soirées. On m’a donc appelée après l’effeuillage Marie-Antoinette pour me proposer d’autres soirées. Je disais oui à chaque fois puis je stressais horriblement en attendant la date. J’avais une soirée tous les 3 mois environ. Puis ça s’est intensifié et j’ai ajouté d’autres numéros à mon répertoire. Donc c’est parti un peu comme ça, sur un malentendu. Maintenant j’ai plusieurs événements chaque mois !
Est-ce que tu considères cette passion comme ton métier aujourd’hui ?
Je suis toujours perturbée quand on me parle de ça sous cet angle car entre l’amateurisme et le professionnalisme si c’est qu’une question de fiche d’impôt, je ne vois pas trop ce que ça change. Mais oui, aujourd’hui je ne fais plus que ça. Cependant, j’avais le même niveau d’exigence quand j’avais d’autres revenus à côté. Au début, j’ai pris ça comme une espèce de malentendu mais j’ai toujours voulu faire bien et ça m’a tout de suite plu. Une de mes manières de voir la vie c’est que si on peut éviter de se faire chier dans ce qu’on fait tous les jours c’est mieux ! Et que dans tous les cas, si ça se passe mal ou que ça ne nous plaît plus et bien il faut changer ! Plus facile à dire qu’à faire tu me diras… Mon rapport à la prise de risque est assez flexible. Au tout début par exemple poser nue était un petit risque personnel, performer aussi, décider de ne faire plus que ça aussi, mais j’avais envie de me bousculer. J’aime bien l’idée de ne pas se fossiliser ! Je m’ankylosais 39 heures dans un bureau alors que ce qui m’excitait vraiment c’était ce que je faisais à côté. Je me suis finalement préservée en prenant le risque de ne plus faire que ça. Je me suis toujours dit que si l’effeuillage devenait le truc plan-plan de ma vie et bien je changerais. Mais ce n’est pas le cas, c’est toujours mon gagne-pain et ça me plaît. Et puis dans le spectacle vivant il y a plein d’autres opportunités qui peuvent s’offrir à moi sans être du burlesque pur, ça pourrait être par exemple du théâtre ou du cinéma… Mes performances sont mon appel d’air, elles m’offrent tout un espace de possibilités. Peut-être que c’est ce qui me permettra de faire encore autre chose dans 4 ans. On ne peut pas savoir en fait !
Que rêvais-tu de faire quand tu étais enfant ?
Avant mes 12 ans, je voulais être cétologue, m’occuper des cétacés. Ensuite, j’aimais bien dire en société que je voulais être psychiatre. Puis j’ai réalisé que le secteur des cétacés était sans débouchés et que ma phobie du sang m’empêcherait de faire médecine. Comme je n’avais pas de vocation et que j’étais bonne à l’école, je me suis dit que j’allais faire une prépa HEC, mais ma mère qui était prof de lettres m’a suggéré de faire une prépa littéraire. J’étais en S au lycée, j’avais des préjugés mais j’aimais écrire donc en deux mois j’ai changé de cap et je suis passée de physique-chimie à Lettres. J’ai fait Hypokhâgne, j’ai bien aimé, mais je me disais qu’il faudrait quand même ensuite que je fasse une école de commerce, n’étant pas très motivée par une carrière universitaire. Je suis donc allée à l’Essec, même si je savais que ça n’allait pas me plaire, c’était un peu un gage de liberté avec salaire et débouchés. On devait aller à l’étranger pendant le cursus et j’ai choisi la Chine, ça c’était une super expérience ! J’ai appris à parler chinois et aujourd’hui je continue à étudier cette langue que j’adore. Par contre, j’ai détesté tous mes stages. Lors de mon séjour en Chine, à l’occasion d’une soirée arrosée, je me suis promis de ne pas accepter une vie qui soit synonyme de stress et d’humiliation.
En rentrant à Paris, j’ai voulu trouver un boulot à l’étranger pour repartir, comme si le fait que ce soit à l’étranger allait rendre le job plus sympa… mais, comme j’ai été diplômée l’année de la crise de 2008, trouver un emploi était compliqué. Il y avait du travail en audit mais pour moi qui préférais fuir les tableaux Excel il n’y avait rien. Pendant 4 ans d’études, on te fait croire que tu auras un job facilement et puis pas du tout ! Je crois que c’était de la faute de la crise mais ça venait aussi de moi car honnêtement je pense que quand les RH me voyaient, ils sentaient bien que je n’avais pas envie de bosser dans toutes ces grosses boîtes… Après 6 mois sans trouver de boulot, je me suis dit qu’il fallait que je me bouge. J’habitais à côté du Printemps, j’ai déposé quelques cv au rayon lingerie et la marque Chantal Thomass que j’adorais a été la première à m’embaucher. J’ai été vendeuse là-bas pendant 1 an. A ce moment-là, j’ai réalisé que ce qui m’avait plu en Chine c’était le fait d’être ouverte au risque, à l’aventure, et j’ai décidé de m’ouvrir aussi à Paris, de changer de comportement. C’est comme ça que de fil en aiguille j’ai atterri dans les cours de dessin, que j’ai fait mon premier show… et que j’ai continué en me disant ce serait ça le truc qui me permettrait de survivre.
« Je me suis promis de ne pas accepter une vie qui soit synonyme de stress et d’humiliation. »
Qu’est-ce qui te plaît le plus dans ton activité ?
Le rapport au public, l’échange d’énergie qu’il y a avec les gens quand je suis sur scène. C’est d’ailleurs ce qui m’a plu tout de suite, dès les premières fois. Je ne m’y attendais pas du tout et c’était hyper fort, comme une sorte de sensation d’adrénaline et la suspension du temps. C’est ça qui m’a donné envie de recommencer, parce que quand ça arrive c’est génial. En revanche, si je mets mon costume et que je me maquille pour poser pour des photographes, je me sens moins à l’aise. J’aime bien le résultat mais ça ne me fait pas du tout le même effet. C’est vraiment le direct du show qui me plaît. Même si ça ne dure que cinq minutes, c’est mon moteur pour continuer.
Crédit photo Henry Jee
Est-ce que tu as une hygiène de vie spéciale pour entretenir ton corps ?
J’ai toujours fait du sport, de la danse, une ou deux fois par semaine. Burlesque ou pas, ça me permet de ne pas avoir mal partout et de me sentir bien dans mon corps. Aujourd’hui, je fais de la barre au sol car je trouve ça très efficace. Même si dans le futur j’arrêtais la scène, je continuerais à me donner la même discipline car j’aime ça. J’aime la corporalité, l’incarnation, le fait de travailler avec le corps. Lorsque je travaillais juste avec mon cerveau, ça ne me satisfaisait pas du tout. D’autant plus parce qu’il ne travaillait pas tant que ça…
Je prends un peu ça comme l’instrumentiste et son luth. Lorsqu’on joue d’un instrument, on le façonne et je ressens la même chose avec le corps. Selon ce qu’on lui fait, on va l’abimer, l’améliorer, le maintenir. On fait un travail d’équipe avec son corps, on vit toute notre vie avec lui, donc c’est plus sympa de bien s’entendre.
« On fait un travail d’équipe avec son corps, on vit toute notre vie avec lui, donc c’est plus sympa de bien s’entendre. »
Crédit photo John-Paul Bichard
Comment s’organisent concrètement tes journées et soirées de showgirl ?
On peut m’appeler du jour au lendemain ou alors six mois à l’avance pour un show privé comme un anniversaire ou une soirée. Je danse aussi régulièrement à La Nouvelle Seine, une péniche à Saint Michel, avec le Cabaret Burlesque. On part aussi souvent en tournée. Valentina del Pearls qui gère le show produit un spectacle chaque année à Avignon pendant le festival. Dernièrement, Mademoiselle Ilo, créatrice de tenues en latex à Paris, m’a fait une commande pour un nouveau numéro. On a imaginé l’histoire d’une écuyère qui se transformerait en cheval. Elle s’occupe du costume et moi de la choré, c’est intéressant car nous travaillons vraiment en binôme.
Je participe aussi à des soirées immersives, je travaille avec Brand Content, une boîte d’événementiel spécialisée dans le booking d’artistes et la DA de soirées haut de gamme . C’est à la limite du Burlesque. Je peux déambuler dans le public avec un de mes costumes et être dans l’interaction mais sans forcément faire d’effeuillage. Grâce à eux, j’ai pu participer à des soirées assez excitantes comme une soirée de fashion week pour Dior à Shanghai ou les soirées Canal Plus à l’époque où il y en avait encore au Festival de Cannes
Comment crées-tu tes costumes ?
Je m’adresse à de très bons costumiers comme François Tamarin, meilleur ouvrier de France en corsetterie, et Maxime Blotin. Je travaille avec Mademoiselle Ilo pour le latex. Je vais dans leur atelier avec une ébauche de numéro et j’échange énormément avec le costumier car c’est lui qui a le talent et la créativité dans ce domaine. C’est un dialogue entre mes inspirations et son savoir-faire. Il a ses exigences techniques, j’ai les miennes, mais ils ont l’habitude de travailler avec des personnes qui font de l’effeuillage et savent que ça doit être très résistant. Je demande souvent à mon entourage ce qu’ils pensent de l’élaboration d’un nouveau costume et chacun a au moins une idée ou une critique dont je tiens compte. C’est vraiment un dialogue ! Actuellement j’ai une dizaine de costumes et trois que je porte très souvent : le flamant rose, Marie Antoinette et mes éventails en plume.
Est ce qu’il y a des femmes qui t’ont inspirée pour développer tes performances ?
J’ai plein d’inspirations qui ne sont pas forcément liées aux personnes, mais plutôt à leurs créations. Je ne suis pas trop dans l’idolâtrie. Admirer quelqu’un est un truc global et on ne sait jamais vraiment qui sont les gens. Mais en termes de danse, il y a bien sûr beaucoup de femmes qui m’inspirent, d’Isadora Duncan à Cyd Charisse en passant par Nicki Minaj, sans oublier toutes les filles du Crazy Horse et Sylvie Guillem !
Y a-t-il des lectures qui t’ont influencée ?
Le Manuel d’Epictète qui donne pour moi les bases de la survie. J’aime bien la littérature érotique de Pierre Louys, dont je lis parfois des extraits sur scène. J’aime aussi Proust même si je n’ai pas tout lu. C’est un peu banal, mais j’ai été marquée par plusieurs passages.
Crédit photo Tom Hagemeyer
Qu’est-ce qui te fait envie aujourd’hui ?
J’aimerais bien faire du théâtre. J’adorerais que ça se fasse un peu comme le burlesque, un peu naturellement. C’est une envie et peut-être qu’un jour une rencontre ou un projet me mettra sur la route du théâtre.
Est ce que tu aimerais ajouter quelque chose à cette interview “Rose boudoir”?
Je fais du luth, j’ai commencé il y a 3 ans quand j’étais encore dans ma vie de bureau et que l’effeuillage ne suffisait plus à me stimuler. J’ai créé un récital polisson de luth Renaissance dans lequel je mélange musique Renaissance et reprises de morceaux modernes comme « Sexy boy » de Air ou « Etienne Etienne » de Guesch Patti, dans une performance narrative qui comprend éventuellement des lectures érotiques. Parfois, à la fin, j’enlève quand même ma robe aussi. Ça reste ma spécialité… Je m’amuse beaucoup dans cet échange polisson avec le public. C’est une autre manière d’explorer le Burlesque. Pour moi, le luth est très « boudoir » car c’est un instrument de chambre, un instrument intime.
Retrouve Sucre d’Orge sur instagram @sucre_dorge_burlesque
& son site sucredorge-burlesque.com
Par Estelle / Elles créent, Rose Boudoir