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Lettre à Romy Schneider

« Vivante tu l’es aussi, tu l’es toujours, quand tu joues, quand tu deviens une autre. Une autre que tu fais aimer, souffrir, mourir. C’est en devenant une autre que tu te sens la plus solide, la moins fragile, que tu te tiens le plus solidement debout. »

23 septembre 2019

Romy Schneider

Crédit photo : Droits réservés

Romy

Tu nais le 23 septembre 1938 à Vienne, dans une famille d’artistes. Petite Rosemarie rapidement surnommée Romy, tu grandis en Bavière, à Schönau, avant de fréquenter un pensionnat proche de Salzbourg après le divorce de tes parents. Tu te montres très douée pour le théâtre et rêves vite de devenir actrice, comme tes parents. A 15 ans, tu joues aux côtés de ta mère Magda dans le film Lilas Blancs de Hans Deppe, puis tu commences à incarner des personnages de jeunes filles romantiques.

En 1955, tu obtiens le rôle mythique de « Sissi ». La fièvre Sissi s’empare vite de l’Autriche, de l’Allemagne, et c’est toi Romy qui deviens à ton tour une princesse. « Demain, vous serez tous amoureux de Romy Schneider », proclamaient à l’époque de nombreux slogans.

Et toi, Romy, tu tombes amoureuse, principalement des acteurs aux côtés desquels tu joues. Tu as besoin d’aimer, tu as besoin de l’adrénaline que te procure ce trop-plein d’émotions, tu en as besoin pour te sentir vivre.

Tu pars un peu à Hollywood au début des années 1960, mais là-bas tu n’es pas la star, la fiancée de l’Europe, tu es presque inconnue. Tu es marquée par le travail des comédiens, leur discipline, leur rigueur et, quand tu décides de rentrer en Europe, tu refuses de jouer un quatrième épisode de Sissi. Tu veux jouer d’autres rôles, porter d’autres personnages de femmes, raconter d’autres histoires. Tu n’as pas rencontré le succès en Amérique mais tu en es revenue plus déterminée, plus volontaire, décidée à échapper aux mièvreries viennoises.

Jeunes Filles en uniforme, Christine, Eva ou le Carnet d’une jeune fille… Tu enchaînes les tournages et c’est pour le film Christine de Pierre Gaspard-Huit que tu rencontres Alain Delon. Avec lui, tout de suite, rien n’est ordinaire, banal, normal. Jamais tu ne t’ennuies, jamais tu n’en as assez. Il devient ton tout, le souffle de ta respiration. Pendant 6 ans. Pendant 6 ans tu survis à ses absences en ne pensant qu’aux retrouvailles, qu’au retour de sa présence. Tu découvres la douleur physique des séparations, du manque. Tu décides de venir vivre à Paris avec lui. Une vie de bohème. L’univers de l’homme que tu aimes, des films intellectuels, un anticonformisme, des nuits à boire, à danser, à rire, sans fin.

C’est par Alain que tu rencontres Visconti. C’est lui qui va te faire monter sur les planches pour donner la réplique à Alain dans Dommage qu’elle soit une P… Alain a le rôle principal, celui de Giovanni, et tu seras Annabella. C’est un immense défi. Des heures et des heures de cours de français, de répétitions acharnées. Tenir, tenir, et réussir. Tu es hospitalisée pour une péritonite avant la première représentation mais qu’à cela ne tienne, quelques jours plus tard tu es la reine de Paris, tu triomphes.

Visconti te fait ensuite jouer la comtesse dans son Boccace, et s’enchaînent les films, les rôles dont tu es fière, ceux dont tu avais rêvé. Comme ils te semblent loin alors les films légers de tes débuts. Comme elle te semble loin cette facilité passée. Tu sais à présent quelle actrice tu veux être, ce que tu veux jouer, mais c’est difficile et, déjà, il te faut le soutien du vin pour répéter, tenir, répéter, tenir, souffrir, réussir.

Tu dois retourner aux États-Unis, au début de l’année 1963 pour y présenter ton Boccace. Et cette fois tu y es attendue, reconnue. Pourtant, tu comprends vite que seuls des seconds rôles t’attendent là-bas. Et c’est ce moment d’incertitude qu’Alain choisit pour rompre avec toi. Votre amour était depuis longtemps moribond mais prendre la décision de la rupture t’était impossible. Et maintenant que c’est arrivé, que c’est là, il te faut des médicaments, beaucoup de tranquillisants, et de l’alcool aussi, toujours, pour rester debout. Tu n’as que 25 ans.

En 1965, tu rencontres l’acteur Harry Meyen. Il te rassure, te procure un sentiment de bien-être immédiat, ce bien-être dont tu as besoin après les années de passion avec Alain. Vous vous mariez vite et vous avez un fils, David. Tu passes alors deux ans à Berlin à te reposer, à prendre soin de ton fils, dans un bonheur tranquille.

En 1968, Alain t’appelle pour te proposer le rôle de Marianne dans La Piscine. Tu as envie de vivre fort de nouveau, de sortir de la quiétude qui t’a convenue un temps. Tu acceptes le rôle.

Il y a ensuite le tournage des Choses de la vie, la rencontre avec Claude Sautet et le choix définitif d’une vie en France. Harry se partage un moment entre la France et l’Allemagne. Tu essaies de sauver ton mariage car tu ne veux pas que David soit lui aussi un enfant sans père. Mais la rupture est inévitable, le divorce difficile. C’est dans ce contexte, mais avec cette envie d’être heureuse encore, que tu commences le tournage de César et Rosalie dont le succès confirmera le talent de Sautet.

Et tu tournes, tu tournes toujours, tu tournes encore. 1974, Chabrol et Les Innocents aux mains sales, 1975, Enrico et Le Vieux Fusil. Un premier César de la Meilleure actrice pour L’important c’est d’aimer d’Andrzej Żuławski en 1975, un deuxième pour Une Histoire simple de Sautet en 1978.

Et tu aimes, tu aimes, tu aimes encore. Tu te remaries, avec Daniel Biasini, de onze ans ton cadet. Il a compris tes craintes, le sentiment d’insécurité qui te rend difficile chaque début de tournage, les exigences que tu as avec toi-même. Il te rassure, il est là. Il est là pendant cette année 1976 qui te voit perdre le bébé que tu portes en janvier et ton ami Visconti en mars.

L’année suivante, en 1977, alors que tu attends un autre enfant, tu décides de ne tourner aucun film. Vous partez à Ramatuelle où Sarah naît en avance, par césarienne. Être mère une deuxième fois te donne de la sérénité, de la complétude, de l’harmonie.

En 1979, alors que ton premier mari Harry se suicide, la presse allemande ne t’épargne pas, t’attribuant la responsabilité de sa mort. Et tu leur en veux à ces journalistes. Souvent tu doutes de toi. Souvent tu te perds. Alors tu fumes, tu bois, tu prends des médicaments, trop de médicaments. Il y a longtemps que tes passions amoureuses ne te suffisent plus pour te sentir vivante. Vivante tu l’es aussi, tu l’es toujours, quand tu joues, quand tu deviens une autre. Une autre que tu fais aimer, souffrir, mourir. C’est en devenant une autre que tu te sens la plus solide, la moins fragile, que tu te tiens le plus solidement debout.


Un jour de colère tu menaces Daniel de divorce, il part, tu te dis qu’il reviendra, mais il ne revient pas. C’est un autre rêve d’unité qui n’a pas fonctionné. Cette fusion avec les hommes, pourtant, tu en rêves. Elle t’apparaît comme essentielle. Tu en rêves comme tu rêvais d’une impossible unité avec ton père Wolf Albach, ce comédien qui n’avait pas su être un mari et qui n’avait joué qu’un rôle minime dans ta vie te rendant si peu souvent visite. C’était la blessure initiale, la blessure que tu allais revivre et revivre et revivre encore, d’homme en homme. L’impossible osmose, l’impossible fusion. Tu divorces de Daniel en 1981. Daniel qui n’est pas revenu, alors qu’on a t’a retrouvée inanimée au petit matin sur le tournage de Fantôme d’amour de Dino Risi en Italie après trop de cognac, trop de médicaments, encore trop. Tu rencontres alors Laurent Pétin, celui qui sera ton dernier amour, un dernier rêve de cette unité que tu ne trouves avec aucun homme.

L’unité tu la vis avec tes enfants. Tes enfants que tu aimes plus que tout. David, Sarah, David, Sarah. Pendant l’été 1981, tandis que tu tournes, ils vivent à Paris chez les Biasini. Et, le 5 juillet, le téléphone sonne. On t’annonce que David est hospitalisé, opéré d’urgence, il a voulu escalader la grille de la maison de ses « grands-parents », il est tombé, il s’est blessé au ventre.

Ton fils a 14 ans, il a 14 ans ce jour de juillet. Et il meurt. Son enterrement à Saint-Germain, les journalistes qui te traquent jusqu’à l’arrière de ta voiture où tu l’allonges pour échapper à leurs photos. Que reste-t-il après ça ? Comment tiens-tu encore un peu debout ? Combien de médicaments, de litres d’alcool, de paquets de cigarettes ?

L’année suivante, tu tournes un dernier film, La passante du Sans-Souci de Jacques Rouffio. Tu le tournes à Berlin, Berlin où tu as vécu avec Harry, Berlin où David est né. Dans la douleur parfois on veut se faire encore plus mal, gratter sur les souvenirs, très fort, pour se sentir vivre encore. Et tu as Sarah encore, tu as Laurent, le projet de vivre tous les trois à la campagne, peut-être un nouveau film avec Alain, L’Un contre l’Autre. Tu as 43 ans, tu as seulement 43 ans. Tu veux la paix. Plus jamais la passion qui détruit comme avec Alain, et plus jamais le deuil impossible de la perte de l’enfant. La paix, juste la paix.

Personne ne sait vraiment comment vient cette paix le 19 mai 1982. C’est Laurent qui te retrouve morte au petit matin dans ton appartement de la rue Barbet-de-Jouy, dans l’aube de Paris, la ville que tu avais choisie. En ces derniers moments pourtant, il y a sûrement les images de Schönau, de la Bavière, de l’enfance, loin, loin en arrière.

Laura

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