(0)
  • Aucun produit dans le panier.
Total:0,00

D’Auguste à Camille – Le classique #Nuit

QUAND LA PASSION DÉTRUIT ET PLONGE DANS LA NUIT
#LE CLASSIQUE NUIT

12 janvier 2019

La valse de Camille Claudel

(Crédit : La valse de Camille Claudel )

Camille Claudel et Auguste Rodin se rencontrent en 1884. Il a 24 ans de plus qu’elle. Sculptrice, elle devient l’élève du maître. Ils s’aimeront pendant près de dix ans d’une passion totale et destructrice, au cours de laquelle ils réaliseront leurs plus belles œuvres mais qui les marquera au fer rouge. Camille sera internée en 1913 dans un asile où elle mourra seule en 1943. Sa correspondance avec Rodin, dont témoigne le magnifique « Je couche toute nue » qui réunit les lettres des deux amants, est le mausolée de cet amour fou. Celui que l’on aimerait tous vivre car il donne le sentiment de toucher la grâce, l’absolu, le divin, mais qui est aussi celui qui détruit et plonge dans la nuit.

AUGUSTE RODIN À CAMILLE CLAUDEL – 1886

Ma féroce amie,
Ma pauvre tête est bien malade, et je ne puis plus me lever le matin. Ce soir, j’ai parcouru (des heures) sans te trouver nos endroits. Que la mort me serait douce ! Et comme mon agonie est longue. Pourquoi ne m’as-tu pas attendu à l’atelier, où vas-tu ? A quelle douleur j’étais destiné. J’ai des moments d’amnésie où je souffre moins, mais aujourd’hui, l’implacable douleur reste. Camille, ma bien-aimée malgré tout, malgré la folie que je sens venir et qui sera votre œuvre, si cela continue. Pourquoi ne me crois-tu pas ? J’abandonne mon salon, la sculpture ; si je pouvais aller n’importe où, un pays où j’oublierais, mais il n’y en a pas. Il y a des moments où franchement, je crois que je t’oublierais. Mais en un seul moment, je sens la terrible puissance. Aie pitié, méchante. Je n’en puis plus, je n’en puis plus passer un jour sans te voir. Sinon l’atroce folie. C’est fini, je ne travaille plus, divinité malfaisante, et pourtant je t’aime avec fureur.
Ma Camille, sois assurée que je n’ai aucune femme en amitié et toute mon âme t’appartient.
Je ne puis te convaincre et mes raisons sont impuissantes. Ma souffrance, tu n’y crois pas, je pleure et tu en doutes. Je ne ris plus depuis longtemps, je ne chante plus, tout m’est insipide et indifférent. Je suis déjà mort et je ne comprends plus le mal que je me suis donné pour des choses qui me sont si indifférentes maintenant. Laisse-moi te voir tous les jours, ce sera une bonne action et peut-être qu’il m’arrivera un mieux, car toi seule peux me sauver par ta générosité. Ne laisse pas prendre à la hideuse et lente maladie mon intelligence, l’amour ardent et si pur que j’ai pour toi, enfin pitié, ma chérie, et toi-même en seras récompensée.
Rodin.

Je t’embrasse les mains, mon amie, toi qui me donnes des jouissances si élevées, si ardentes. Près de toi, mon âme existe avec force et, dans sa fureur d’amour, ton respect est toujours au-dessus. Le respect que j’ai pour ton caractère, pour toi, ma Camille, est une cause de ma violente passion ; ne me traite pas impitoyablement, je te demande si peu. Ne me menace pas et laisse-toi voir, que ta main si douce marque ta bonté pour moi, et que quelquefois laisse-la, que je la baise dans mes transports.
Je ne regrette rien, ni le dénouement qui me parait funèbre ; ma vie sera tombée dans un gouffre. Mais mon âme a eu sa floraison, tardive, hélas. Il a fallu que je te connaisse et tout a pris une vie inconnue, ma terne existence a flambé dans un feu de joie. Merci, car c’est à toi que je dois toute la part de ciel que j’ai eue dans ma vie.
Tes chères mains, laisse-les sur ma figure, que ma chair soit heureuse, que mon cœur sente encore ton divin amour se répandre à nouveau. Dans quelle ivresse je vis quand je suis auprès de toi. Auprès de toi quand je pense que j’ai encore ce bonheur, et je me plains et dans ma lâcheté, je crois que j’ai fini d’être malheureux, que je suis au bout. Non tant qu’il y aura un peu d’espérance, si peu, une goutte, il faut que j’en profite la nuit, plus tard, la nuit après.
Ta main, Camille, pas celle qui se retire, pas de bonheur à la toucher, si elle ne m’est le gage d’un peu de ta tendresse.
Ah ! Divine beauté, fleur qui parle, et qui aime, fleur intelligente, ma chérie. Ma très bonne, à deux genoux, devant ton beau corps que j’étreins.
R.

Camille / Auguste – « Je couche toute nue »

Textes réunis par Isabelle Mons et Didier Le Fur, Éditions Slatkine & Cie, 2017.

Vous aimerez sûrement