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Lettre à Anaïs Nin

« Merci d’avoir été l’impératrice de l’érotisme féminin. Merci pour ta voix, ton énergie créatrice, merci pour ton insoumission et ta passion irraisonnée de l’amour et des mots. »

21 février 2019

(Anaïs Nin – DR)

Anaïs,

Tu es née en France, à Neuilly, le 21 février 1903, d’une mère danoise et d’un père espagnol, il y a tout juste 116 ans.

La France, tu la quittes une dizaine d’années plus tard pour les États-Unis, avec ta mère et tes frères, après le divorce de tes parents.

C’est pour garder contact avec ton père, un artiste volage qui vous a abandonnés, que tu commences à écrire ton journal. Tu as onze ans et tu commences ce journal comme une longue lettre à ce père absent. Tu le commences en français et il te faudra vivre six ans à New York pour te décider à adopter l’anglais. Mais il s’agira d’un anglais unique, ton anglais, ta voix, tes mots restant immuablement imprégnés d’une petite musique latine.

Et c’est dans ton journal que tu vas donner vie à ton incroyable voix, utilisant ce support comme un laboratoire. Un laboratoire d’écriture, de création, un laboratoire dans lequel tu n’auras de cesse de laisser parler ton inconscient, de lever des voiles, de livrer le plus intime et le plus profond de toi.

Ce journal, tu le considéreras toute ta vie comme ton confident suprême, le tenant de 1914 à 1977, te réfugiant toujours plus dans l’écriture lorsque tu reviendras vivre en France en 1924 avec ton mari et que la vie domestique te répugnera au plus point. Puis tu le poursuivras inlassablement après ton retour aux États-Unis.

Dans ce journal, tu livres ton intériorité et les secrets de tes relations amoureuses. Tu livres ta passion avec Henry Miller que tu rencontres à Paris alors que tu termines l’écriture d’un essai sur D. H. Lawrence, l’auteur de L’Amant de Lady Chatterley, et qu’Henry vient de quitter son travail à New York pour se consacrer à l’écriture et à une vie de bohème. Nous sommes en 1932 et tu as enfin trouvé l’écrivain et l’amant que tu cherchais depuis si longtemps, l’homme qui te fera connaître un double éveil, celui de femme et celui d’écrivain. Tu écris alors cette phrase incroyable, qui me bouleverse tant : « La fascination qu’exerce un être sur un autre ne provient pas de ce qu’exhale sa personnalité à l’instant de la rencontre. C’est de la somme de tout son être que se dégage une drogue puissante capable de séduire et d’attacher. »

Cette passion féconde, que tu vis à l’époque où tu découvres et expérimentes la psychanalyse, nourrira tes écrits, comme le feront tes autres amours. Il y a Henry que tu aimes de façon totale, absolue, sacrée. Il y a sa femme June qui te fascine mais dont tu perçois la force destructrice. Mais aussi ton mari Hugh que tu aimes avec tendresse, dans la durée, dans le temps. Allendy qui te donne « la force nécessaire pour vivre tes passions sans pour autant en mourir ». Ton père que tu retrouves et avec qui tu t’abandonnes à la transgression ultime. Antonin Artaud avec qui tu fantasmes un amour qui ne sera pas vécu. Ton psychanalyste Otto Rank avec qui tu expérimentes un désir que tu décris toi-même comme « un besoin physique et aveugle ». Et l’enfant que tu n’auras jamais, ta maternité avortée le jour où tu accouches d’une petite fille morte née.

Tu livres dans ton journal tous ces amours, tous ces secrets, narrant tes écarts et tes fantasmes, changeant parfois les noms des protagonistes de ta vie pour ne pas les blesser, t’arrangeant avec le réel au profit de la création, t’imposant la sincérité propre aux révélations de l’âme tout en t’autorisant une absolue liberté.

Et ce journal, tu finiras par nous l’offrir à nous, femmes de ta génération et des suivantes, en 1966, lorsque tu laisses un éditeur new-yorkais en publier le premier tome. Tu as 63 ans et tu rencontres le succès. Le monde entier découvre alors ton incroyable visage de poupée japonaise, la lumière de ton regard, la singularité de tes traits, ta silhouette impériale. Des millions de femmes se passionnent pour ta vie dévorée par les démons de l’amour et de l’art. Ton audace, ta profondeur, ta vérité séduisent.

Ta façon de parler du désir féminin se révèle unique, moderne, essentielle, parce que, amoureuse passionnée, tu as placé tous tes écrits sous le signe de l’érotisme et de l’inconscient. Tu lègues ainsi aux femmes du monde entier des milliers de mots qui touchent, des mots qui percutent, qui font avancer, qui questionnent l’intime, qui sont là pour l’éternité. Cette même éternité que tu poursuivais quand tu écrivais : « Je fais reculer la mort à force de vivre, de souffrir, de me tromper, de risquer de donner et de perdre. »
Toi qui voulais te donner toute entière à l’art, à la création, tu fus assez douée pour décrire tes émotions les plus profondes et assez courageuse pour les offrir au monde. Et le monde t’en sera reconnaissant. Tu seras élue au National Institute of Arts and Letters en 1974, reconnue comme une femme de lettres majeure huit ans après la publication du premier tome du Journal. Et tu attendras d’avoir 72 ans pour autoriser la publication de Venus Erotica, recueil des textes érotiques que tu as écrits à partir de 1939 pour un amateur anonyme qui en avait passé commande auprès d’Henry. En dévoilant ces textes, tu libères l’érotisme féminin, tu t’inscris en précurseuse, en fondatrice, dans un territoire qui avait jusqu’alors été réservé aux hommes, juste avant de t’éteindre d’un cancer, à Los Angeles, en janvier 1977.

Pour moi qui n’ai de cesse de m’interroger sur l’intensité des émotions, sur l’intimité féminine, sur la transmission inconsciente de schèmes et de pensées, sur la sexualité, sur mon rapport aux hommes, pour moi qui cherche à laisser des traces et à toucher simplement avec des mots, tu es, Anaïs, un exemple de créativité, de modernité, d’indépendance et de liberté.

Merci Anaïs. Merci d’avoir été l’impératrice de l’érotisme féminin. Merci d’avoir su dire nos fantasmes, notre plaisir, nos désirs. Merci d’avoir donné aux femmes de la confiance et du pouvoir, en révélant toute la force contenue dans nos fragilités émotionnelles et notre soif d’amour.

Merci de m’inspirer et de me donner envie de croire encore, d’espérer, de me dépasser.

Merci pour ta voix, ton énergie créatrice, merci pour ton insoumission et ta passion irraisonnée de l’amour et des mots.

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